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ascendantes, qui finissent par ne plus être qu’un bredouillement informe. Nous pourrions faire aussi la même remarque ail chef d’orchestre ; M. Bonnetti, qui précipite tous les mouvemens et donne à la musique de Rossini la furia qui n’appartient qu’à la mélopée de M. Verdi. Pourquoi M. Bonnetti ne dit-il pas à M. Corsi que, dans le finale du Barbier par exemple, en ne doit pas chanter à pleine poitrine cette phrase si connue :

Guarda don Bartolo…
Sembra una statua ?…

Le simple bon sens ne devrait-il pas avertir l’artiste que, s’il crie par-dessus les toits, Bartholo se réveillera de sa stupeur ? Les nuances ne sont plus observées, et sans ces nuances que deviennent les chefs-d’œuvre de l’art musical ? Dans la Lucrezia Borgia de Donizetti, M. Bellart a été plus favorablement accueilli encore que dans la Cenerentola, Mme Steffenone a rendu avec énergie et beaucoup de noblesse le rôle si dramatique de la Borgia, tandis que Mme Nantier-Didiée a été charmante sous le costume du jeune Orsino. Elle a chanté avec goût le fameux brindisi, et sa taille élégante, ses bonnes façons, sa voix de mezza-soprano ont été appréciées du public. Dans la Traviata, dont on a essayé de relever le crédit auprès des Parisiens » Mme Saint-Urbain a eu quelques bonnes intentions. D’un physique agréable et comédienne intelligente, Mme Saint-Urbain peut tenir la suppléance d’un premier rôle, mais non pas le remplir d’une manière définitive. Sa voix légère et grêle manque de timbre, de puissance et parfois de justesse. M. Mario a chanté avec beaucoup de verve tout le premier acte de la Traviata, qui est le meilleur de l’ouvrage. On a voulu aussi reprendre Ernani de M. Verdi, mais le public a paru trouver que c’était là de la robba vechia. La reprise de l’Italiana in Algeri, qui a eu lieu le samedi 12 décembre, a été plus heureuse, et le public a été enchanté de pouvoir rire enfin à un théâtre qui s’appelait autrefois les Bouffons italiens. On a redemandé le trio délicieux de Papataci ; où le ténor Bellart s’est fait justement applaudir, et Mme Alboni a été parfaite dans l’Italiana aussi bien que dans le Barbier et dans la Cenerentola.

Le Théâtre de l’Opéra-Comique a changé de directeur. Après une gestion de neuf années, parmi lesquelles se trouve l’année néfaste de 1848, M. Emile Perrin a cédé son privilège à M. Nestor Roqueplan, qui passe ainsi du sérieux au plaisant, je veux dire du théâtre de Gluck, qu’il a dirigé assez longtemps, à celui de Grétry, dont les destinées vont dépendre de son bon plaisir et de sa vigilance. Parmi les objets et curiosités légués par M. Perrin à M. Roqueplan se trouve le Carnaval de Venise, opéra en trois actes, qui a été représenté tout récemment, au grand étonnement du public, qui ne s’attendait pas à ce don de joyeux avènement de la part de la direction nouvelle. Si M. Roqueplan y était moins intéressé, il pourrait s’en laver les mains en disant : Je ne suis pour rien dans la mésaventure que vous éprouvez, prenez-vous-en à mon habile prédécesseur. Que ce soit Pierre ou que ce soit Jacques, le Carnaval de Venise est une mauvaise plaisanterie, dont le sort n’a pas été un seul instant douteux. Les paroles sont de M. Sauvage et la musique de M. Ambroise Thomas, l’un des compositeurs les plus instruits de l’école française, mais que la nature a traité avec peu de générosité.