Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régularité et en fait une langue savante qui se rapproche beaucoup de celle des autres nations civilisées. La musique de l’école italienne, par exemple, diffère beaucoup moins de la musique de l’école allemande que les canzonette de Venise, de Florence, de Rome et de la Sicile ne diffèrent des chansons agrestes de la Bohême, de l’Ukraine, de la Wolhynie ou de la Pologne. Il en est de la musique et de la poésie comme des costumes, qui sont pittoresques et nationaux dans les campagnes, tandis que la société polie de Londres ou de Paris s’habille à peu de chose près comme celle de Berlin, de Varsovie ou de Saint-Pétersbourg. Cependant il arrive certaines époques de satiété et d’épuisement où l’art, ayant produit déjà ses plus grands chefs-d’œuvre, se retourne vers le passé et va se rajeunir aux sources populaires et nationales. Frédéric Chopin est le compositeur qui, de nos jours, a le mieux traduit sous les formes de l’art proprement dit les propriétés du génie musical et poétique de sa nation.

Dans son résumé de l’histoire de la musique en Pologne, qu’on pourrait désirer plus développé et plus explicite, sur certaines questions importantes comme celles de l’harmonie et de la tonalité, M. Sowinski donne une définition des principaux chants et danses populaires de sa nation. C’est d’abord la Polonaise, danse populaire fort connue, qui remonte aux premiers siècles, et dont un compositeur polonais du XVIIIe siècle, Kozlowski, a reproduit le type avec un grand succès ; la Mazoure ou Mazoureck, danse à trois temps d’un accent mélancolique, et que les chefs-d’œuvre de Chopin ont répandue dans toute l’Europe. « Où ne saurait préciser l’époque à laquelle on commença à composer des mazurecks, dit M. Sowinski. Il est probable que les joueurs de luth du XVIe siècle connaissaient ce genre d’airs, à en juger par les descriptions qu’en donnent d’anciens poètes polonais. Celles que le peuple chantait avaient quelque chose de naïf et de tendre, et la mélodie en était courte et accentuée. Elles avaient primitivement deux reprises, avec un prélude que les ménétriers de village improvisaient à leur façon. » Viennent ensuite le Krakowiak, air vif, à deux temps, connu en France sous le nom de la Cracovienne, et les Dumij ou Dumki, airs plaintifs, comme le sont la plupart des airs primitifs de la race slave. Les dumki étaient accompagnés sur un instrument à cordes nommé guinsla. Enfin, les daïnos, airs vifs et simples, appartiennent surtout à la Lithuanie. « Un de ces airs, dit M. Sowinski, composé par Chopin, fut chanté à Paris par M Viardot en langue polonaise, à un concert donné au bénéfice des pauvres par la princesse Marceline Czartoryska. » M. Sowinski donne aussi la description de quelques vieux instrumens abandonnés depuis longtemps, et qui n’ont point appartenu exclusivement au peuple polonais, car on les trouve chez toutes les nations européennes du moyen âge.

L’histoire de la musique en Pologne peut se résumer dans la biographie quatre personnages importans. Saint Adalbert, né en Bohême, apôtre des Slaves, successivement évêque de Prague et puis archevêque de Gnesne, ancienne capitale de la Pologne, introduisit chez ce peuple, au Xe siècle, le plain-chant de l’église romaine. Il est auteur d’une hymne à la Vierge très populaire, et qui s’est conservée jusqu’à nos jours. M. Sowinski a reproduit la musique de l’hymne de saint Adalbert, qui n’est pas autre chose qu’une mélodie grégorienne écrite dans le premier ton de l’église. Après saint