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sont nées. Elles ne sont plus au goût du jour, et elles ne sont pas au goût de tous les temps. Lorsque le drame de M. Alfred de Vigny, Chatterton, reparaissait récemment sur la scène, on se trouvait involontairement ramené par la pensée vers une époque pleine de toutes les luttes de l’esprit, et où la représentation d’un drame, la publication d’un livre, étaient des batailles ardentes, des batailles alternativement perdues et gagnées, et qui en définitive ne sont pas toutes restées des Marengo. Reparaître après vingt-deux années, c’était une épreuve sérieuse, dangereuse peut-être. Chatterton a réussi, et il a été plus heureux en cela que bien des ouvrages littéraires ses contemporains. La première raison de ce succès nouveau n’est point difficile à découvrir : elle est dans la forme savante et fine dont le poète revêt sa pensée, et qui donne à son œuvre une couleur littéraire sur laquelle le temps a passé sans la ternir. Chatterton réussit par le style, et il réussit encore par ce qu’il y a d’humain, de pathétique et d’émouvant dans un cadre des plus simples. Qu’est-ce après tout que Chatterton ? C’est l’histoire d’un homme qui meurt de vanité et d’une femme qui meurt d’amour. N’est-ce point dire ce qui touche et ce qui laisse froid, ce qui cesse d’intéresser ? Ce qui émeut dans Chatterton, c’est ce souffle mystérieux de passion qui circule partout et qui est insaisissable, ce sont deux âmes timides et exaltées qui s’évitent, se recherchent, et ne finissent par se rencontrer que pour se briser et s’exhaler. Là est la poésie de ce drame, et elle se résume dans cette création charmante de Kitty Bell, le vrai personnage humain de la pièce. Le quaker, avec ce mélange d’austérité et d’onction qui paraît sur son visage et qui est dans toutes ses paroles, le quaker lui-même a de l’intérêt, bien qu’il ait parfois la gaucherie des hommes de peu d’expérience qui aident justement aux choses qu’ils voudraient empêcher, et attisent de leur mieux les flammes qu’ils voudraient éteindre. Le même intérêt s’attache-t-il à Chatterton ? M. de Vigny, on le sait, a eu l’idée de mettre en relief les souffrances de l’âme délicate et austère qui porte en elle-même la blessure sacrée, l’antagonisme du génie solitaire et de l’homme d’action, cette sorte d’exil ou de supplice permanent infligé au poète au sein d’une société indifférente ou ennemie. Par malheur, il n’est pas toujours aisé de distinguer le génie de la vanité, et les luttes de la vanité n’ont rien d’intéressant, outre que la société mise en cause pourrait faire de trop faciles réponses. Si M. Alfred de Vigny le remarquait bien, il verrait que son drame a réussi dès le premier jour, et qu’il réussit encore malgré son idée et à cause des beautés d’un autre ordre qui en font une des œuvres éminentes de la littérature contemporaine. On oublie Chatterton, son opium et ses discours, et on ne se souvient que de Kitty Bell, cette femme ardente et dévouée, qui marche bravement aux combats de la vie, sans oser s’interroger, en mettant la main sur son cœur, comme pour l’empêcher de battre, et sans abdiquer la pureté de son âme.

S’il est un pays à qui les déceptions de la vie pratique n’aient point été épargnées, et qui trouve naturellement dans la vie de l’intelligence un refuge, une force, une dignité, c’est l’Italie. Depuis longtemps, en mettant à part le Piémont, l’Italie n’a point eu des chances heureuses dans ses tentatives pour reprendre possession d’elle-même ou pour se réorganiser politiquement ; ses efforts et ses espérances ont été trompés. Lorsqu’elle a paru