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presque de leur rusticité. En un mot, à mesure que l’amour s’apaisera, mille incompatibilités se révéleront, et l’âme aigrie du contadin s’ouvrira aux suggestions mauvaises. Si un domestique, à l’entrée d’un salon, lui demande son titre, il s’emportera contre ceux qui ont des titres. Si un soir il trouve derrière la Fenice, à Venise, quelque femme perdue, portant sur ses bras un enfant qui a dans les veines un peu du sang égaré de quelque noble, il s’élèvera contre l’aristocratie, il s’attendrira sur le peuple et sur ses misères, il prêchera. Le léger Domenico est vraiment tout près de devenir démagogue ; il le deviendrait peut-être, si une voix meilleure conseillère ne venait à propos le ramener à la raison, en lui montrant que, comme bien d’autres, il ne cache sous de grands mots qu’un mauvais sentiment. Il y a un chapitre où Mme Codemo se trouve conduite à remuer en passant ces questions, et quoiqu’elle n’y touche qu’avec réserve, c’est déjà un fait à observer dans un tel roman. L’auteur des Memorie d’un Contadino en dit plus en quelques mots que M. Guerrazzi avec ses dissertations humoristiques. Il s’agit en Italie de réunir, non de diviser ; il faut aimer le peuple, non semer les haines, et c’est ainsi que tout au-delà des Alpes ramène à la politique, tout, même un roman publié à Venise, sous la domination de l’Autriche.

La politique, pour l’Espagne, se résume aujourd’hui dans un seul événement : c’est la naissance du prince des Asturies. Depuis cet événement, les questions ministérielles se sont momentanément effacées. Tout a été fête à Madrid. Le jeune prince a reçu le baptême, et il a eu pour parrain le souverain pontife, représenté par le nonce, Mgr Barili, qui vient d’arriver en Espagne. Les partis extrêmes sont les seuls qui aient pu voir avec un certain déplaisir cette récente faveur accordée à la monarchie actuelle. Les carlistes surtout n’avaient cessé de nourrir l’espoir de négocier un mariage entre un des infans de la famille de don Carlos et la jeune princesse jusqu’ici héritière de la couronne. Ils sont obligés aujourd’hui de renoncer à ce projet chimérique. La royauté constitutionnelle a un héritier mâle. La succession est donc assurée sous ce rapport ; elle ne pourrait être désormais compromise que par ceux-là mêmes qui ont la mission de la garantir, par les fautes des partis constitutionnels, et c’est là sans doute ce qu’on ne fera pas.

Si l’Espagne est en fête depuis quelques jours, il n’en est point malheureusement ainsi du Portugal, et ceci par un motif qui n’a rien de politique. La politique est entièrement stagnante depuis quelque temps à Lisbonne. Les chambres viennent de se réunir, mais elles se sont montrées peu pressées de se mettre activement à l’œuvre. C’est que tout se résume dans une préoccupation unique, celle d’un fléau terrible qui sévit à Lisbonne et éclaircit inexorablement les rangs de la population. Voici déjà plusieurs mois, en effet, que la fièvre jaune s’est déclarée dans la malheureuse capitale de ce petit pays, et elle n’a cessé, depuis sa première apparition, de faire les plus cruels ravages dans les classes les plus élevées aussi bien que dans les classes les plus pauvres. Toutes les parties de la population ont eu leurs victimes. Il semble aujourd’hui seulement que le fléau tende à diminuer. On a vu des pays où les gouvernemens commençaient par se mettre à l’abri en temps d’épidémie. Le jeune souverain de Portugal a donné le premier l’exemple de la fermeté virile. Bien loin de s’éloigner, il a tenu à rester à Lisbonne, paraissant partout, visitant les hôpitaux, rassurant les esprits,