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émulation étrange de courtoisie, de galanterie, de raffinemens d’esprit, tel est le spectacle piquant que donne la société du XVIIe siècle. L’esprit français s’est porté pendant un moment vers ces choses légères avec l’ardeur qui le distingue, les a comme usées en les perfectionnant, et les a rapidement élevées à la plus grande beauté qu’elles puissent atteindre. Dans cet idéal (c’en est un véritable) sont entrées bien des choses charmantes. La politesse française n’a pas été autant un dégrossissement laborieux de notre nature qu’une sorte d’ouvrage aimable, un peu artificiel, composé par des âmes éprises de délicatesse, une combinaison, un miel tiré des fleurs les plus rares. L’élément principal de cet amalgame est le vieil esprit chevaleresque, non pas dans ce qu’il a eu de passionné et d’ardent, mais dans ce qu’il lui restait à son déclin de douceur sénile et de noble enfantillage. À cet esprit, la renaissance a ajouté ses chimères pastorales et mythologiques, ses mascarades de princesses bergères et de princes pasteurs, tout ce qui dans cette politesse enfin est la part de l’imagination. La galanterie a été fournie par l’Espagne ; on lui a retiré tout ce qu’elle avait de trop violent, de trop excessif ; on l’a faite bienséante, et on lui a assigné pour rôle d’être non plus l’expression d’un cœur passionné, mais le délassement d’un honnête homme. L’esprit de conversation est venu de l’Italie, dont on a raffiné les concetti et revêtu les lazzis provoquans d’un costume décent. Ainsi s’est formée la politesse française comme une sorte de bouquet arrangé par des mains artistes : c’est la perfection dans l’artificiel, c’est l’idéal de la convention ; mais c’est positivement une chose idéale, et qui méritait de tenir la place qu’elle a tenue dans la vie de nos pères.

Voilà les institutions qui ont reflété la vie de la vieille France jusqu’à une époque très rapprochée de nous, car la jeune France est de date récente, et sur sa physionomie encore indécise on peut surprendre bien des traits de ressemblance avec l’antique portrait national. Je dis que ces institutions reflètent la vie de la France, et ces paroles doivent s’entendre dans un sens non métaphorique, mais strictement littéral. Mieux que les mœurs, elles expriment tous les grands instincts de l’âme française, et même elles les expriment seules. L’église, la monarchie, la noblesse, tiennent une très grande place dans l’histoire de la France ; la vie du peuple en tient une très petite. Il n’y a rien de remarquable dans la manière de vivre du peuple en dehors de ces grandes manifestations du génie national. L’existence ordinaire ne dépasse pas, chez nous, une honnête moyenne de vulgarité, et ne laisse rien deviner de ces instincts brillans que nous avons essayé d’analyser. La vie pratique, obscure, de tous les jours, n’est jamais entrée, dirait-on, dans les préoccupations de l’esprit français,