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de ceux qui la lui feront faire. La civilisation, au lieu de séjourner dans la couche superficielle de la nation ou de consister dans la juxtaposition d’un appareil militaire, administratif, académique, pénétrera dans la nation même, et s’infiltrera peu à peu jusque dans les masses. La barbarie disparaîtra de l’Europe; un peuple chrétien s’élèvera au rang des autres peuples chrétiens du globe. De tels changemens ne se sont guère accomplis dans le passé que par les révolutions et les guerres, qui ont eu leur rôle providentiel. L’homme a sans doute mérité que la Providence soit aujourd’hui plus douce dans le choix des moyens, et des capitaux associés, maniés dans des vues généreuses, appliqués habilement aux opérations industrielles, suffisent pour l’extension de l’ordre le plus avancé.


V.

Il ne nous resterait maintenant qu’à présenter une évaluation approximative du revenu de ces chemins de fer, si nous ne jugions convenable de tenir compte jusqu’au bout de l’esprit de défiance qui voit l’ambition de la Russie prête à tirer de la paix même des forces nouvelles. Après avoir fait sortir de l’énergie surexcitée d’une population de 65 millions d’âmes une puissance inouïe de production, la Russie remplacerait, dit-on, la passion de la guerre, de l’envahissement et de la monarchie universelle par la passion de l’accaparement des marchés et du monopole! On veut qu’elle cherche une autre issue et des armes plus sûres à tant de visées ambitieuses forcées de se contenir, et qu’en renonçant à peser sur le monde du poids d’une nation militaire, elle entende se faire compter comme une nation industrielle de premier ordre, sinon d’un rang exceptionnel. Les états européens, ajoute-t-on, n’ont tous ensemble qu’un territoire limité dont la population aura bientôt rempli le cadre; pour elle, son territoire habitable, de la Vistule à l’Amour, offre au peuplement des espaces indéterminés. Tandis que l’Europe conservera ses proportions, elle acquerra celles d’un colosse plus fort que jamais par sa prospérité. Alors ne sera-t-elle pas de fait l’arbitre de l’Europe? Se soumettra-t-elle modestement à un équilibre qui sera rompu en réalité? Qui répondra de son abnégation future? Donc la question fatale de suprématie pourra se représenter après comme avant la transformation économique de la Russie; elle n’aura changé de voie que pour mieux atteindre le but.

Nous avons reproduit l’observation sans l’affaiblir, et il sera aisé de prouver ce que nous affirmions plus haut, qu’aucune éventualité ne prendra l’Europe occidentale en défaut. Sans doute la pondération des forces concourt à rendre les états réciproquement respectueux de