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L’Espagne, après bien des traverses, arrive enfin au moment où sa situation redevient complètement régulière : c’est aujourd’hui même que les chambres s’ouvrent à Madrid. Avant d’arriver à cet instant de l’ouverture des certes, l’Espagne encore une fois s’est trouvée cependant, il y a peu de jours, en présence d’une conspiration carliste dont le gouvernement a saisi tous les fils. Des arrestations ont été opérées à Madrid et dans les provinces. Il y a un an, il y avait au-delà des Pyrénées des conspirations démagogiques ; il y a aujourd’hui des conspirations carlistes : ce sont les excès opposés de situations fort différentes. Ce nuage écarté, il ne reste qu’un événement d’un intérêt supérieur, l’ouverture des chambres. Ce n’est point la reine, en ce moment retenue par un état de grossesse, qui doit ouvrir personnellement les cortès ; elle doit être remplacée par le président du conseil. Le discours royal ne conserve pas moins toute son importance ; il est conçu, à ce qu’il paraît, de façon à résumer les traits principaux de la situation de l’Espagne. Dans les affaires extérieures, il y a plusieurs faits : la cour de Madrid a repris ses rapports avec Rome ; les relations avec la Russie, interrompues depuis vingt-cinq ans, ont été renouées ; des difficultés ont surgi avec le Mexique à la suite des assassinats commis sur des Espagnols, mais ces difficultés mêmes semblent approcher d’un dénoûment pacifique, et l’Espagne est la première intéressée à ce résultat, ne fût-ce que pour empêcher les États-Unis de se mêler d’une querelle dont ils profiteraient assurément. Au point de vue intérieur, le discours de la reine annonce la proposition prochaine de diverses réformes d’un ordre tout politique et constitutionnel. Or quel sera l’objet et quelles seront les limites de ces réformes ? Des modifications seraient introduites dans le règlement intérieur de la chambre des députés, de façon à restreindre le droit d’interpellation et à diminuer le nombre des discussions inutiles. La principale réforme concernerait le sénat, où une part serait faite à l’élément héréditaire. Les sénateurs héréditaires seraient choisis parmi les grands d’Espagne jouissant d’un revenu territorial de cent mille francs. La dignité et le revenu, constitué en majorât, passeraient à l’aîné de la famille lors de la mort du titulaire. On a tant parlé de ces réformes au-delà des Pyrénées, qu’elles ne causent point maintenant une grande émotion. L’important est aujourd’hui dans les discussions qui s’élèveront au sein des chambres et dans les rapports qui vont s’établir entre le gouvernement et les partis.

Dans les anxiétés si nombreuses et si variées de la vie présente, l’Espagne a conservé un sentiment qui est toujours une force pour une nation : elle aime son passé. Il y a mieux, comme ses révolutions intérieures n’ont jamais eu le caractère d’une rupture violente et radicale avec tout ce qui a existé autrefois, elle se sent encore pour ainsi dire vivre dans ce passé, auquel elle se rattache par mille liens intimes. Ce n’est pas le sentiment d’un parti, c’est un sentiment universel et national. L’Espagne aime qu’on lui rappelle certains noms, certaines périodes de son existence. Un habile et sérieux écrivain, M. Antonio Ferrer del Rio, n’a fait que répondre à cet instinct profond dans une récente et remarquable Histoire du règne de Charles III. Ce règne, commencé vers le milieu du dernier siècle, a duré jusqu’à la veille de la révolution française. Le nom même de Charles III résume toute une époque, et il est resté populaire au-delà des Pyrénées. Dans les souvenirs