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que de se connaître elle-même? Savoir ce qu’ont voulu, ce qu’ont souffert les générations qui nous ont précédés, n’est-ce pas en effet la plus noble étude que puisse se proposer un homme intelligent, dont l’éducation a développé les facultés? Au lieu de dépenser des heures sans nombre en lectures frivoles, ne vaut-il pas mieux concentrer notre attention sur un sujet digne de toutes nos sympathies? Ceux mêmes à qui le courage manquerait pour donner à l’étude de l’histoire nationale une dizaine d’années n’oseraient blâmer ceux qui se dévouent à ce noble dessein. La vie humaine est comprise entre des limites bien étroites; l’étude de l’histoire agrandit notre vie. Le souvenir du passé élargit le présent. En assistant aux grandes actions accomplies par nos pères, notre personne, notre volonté nous paraissent moins petites; indolens ou actifs, nous sentons le besoin d’achever ce qu’ils ont commencé. Or, si les grands esprits, si les cœurs généreux conçoivent ce projet en lisant le résumé de la vie d’une nation, les esprits ordinaires, les cœurs tièdes le conçoivent difficilement quand les faits ne leur sont pas présentés dans tous leurs détails. Le récit d’une bataille écrit par un témoin oculaire donne au lecteur le moins hardi des frissons belliqueux, et ce mérite se retrouve dans les monographies historiques. L’histoire d’une nation résumée en quelques centaines de pages ne réussit à susciter de grandes pensées que chez les esprits préparés déjà par des études spéciales et capables de comprendre à demi-mot. Quant à la foule, il faut pour l’enflammer recourir à d’autres procédés. La foule ne comprend pas à demi-mot; l’historien qui veut lui inspirer de généreux projets doit lui raconter les faits tels qu’il les a vus dans le récit des contemporains et n’omettre aucune des circonstances qui l’ont frappé.

Si nous possédions une histoire de la France sous le règne de Louis XIV conçue dans les mêmes proportions que l’Histoire du Consulat et de l’Empire, combien d’illusions s’évanouiraient! combien d’erreurs accréditées seraient réduites à néant! La valeur personnelle de Louis XIV et de ses ministres ne serait pas supprimée, mais elle deviendrait pour tous ce qu’elle est déjà pour quelques-uns, une chose qui n’a rien à démêler avec le merveilleux. On saurait au prix de combien de souffrances s’est établi ce gouvernement proclamé parfait par les partisans de l’ancien régime. L’histoire de cette période racontée dans un tableau général de la vie française laisse dans l’ombre de nombreux détails que la foule apprendrait avec étonnement, dont elle ferait son profit. Et ce que je dis de la période comprise entre 1643 et 1715, je pourrais le dire avec une égale justesse de la période comprise entre 1515 et 1547, car les opinions accréditées sur François Ier ne sont guère mieux fondées