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Je ne fais pas fi d’un récit bien ordonné; j’aime et j’admire l’emploi de l’imagination, lors même qu’il s’agit de représenter un fait réel. Cependant je verrais avec joie se produire des œuvres consacrées à l’enseignement du passé, où l’imagination ne jouerait aucun rôle, car le moyen le plus sûr d’élever l’esprit public, c’est d’offrir à la génération présente la vie des générations qui nous ont précédés. Pour agrandir le champ de la pensée, pour donner aux sentimens plus de vigueur et de générosité, il ne s’agit pas de chercher dans les événemens accomplis des épisodes singuliers, des scènes émouvantes; il s’agit de suivre pas à pas la lutte du droit contre le fait. Si l’art vient s’ajouter à la science, tant mieux; mais l’historien qui veut émouvoir à tout prix est bien près de ne vouloir rien enseigner. Or, quoique M. Poirson n’ait pas dit sur la réforme tout ce qu’il pouvait, tout ce qu’il devait dire pour éclairer le règne de Henri IV, il ne présente jamais un fait sans en mesurer la portée, sans en exprimer le sens moral, et ce mérite lui assigne parmi les érudits une place à part.

Que d’autres le suivent dans la voie où il est entré, qu’ils fouillent le passé sans préoccupation étrangère à la science, et la foule comprendra tout ce qu’il y a de honteux dans l’indifférence politique. Ceux qui ne vivent que pour eux-mêmes n’oseront plus avouer leurs secrètes pensées. L’homme dépourvu du sentiment de la responsabilité est une chose dont tous les gouvernemens disposent à leur gré. Or l’histoire écrite par un esprit sérieux excite infailliblement le sentiment de la responsabilité, qui manque au plus grand nombre. Ceux qui lisent le récit des événemens politiques sans comprendre que toute action sollicite un jugement ne comptent pas parmi les hommes intelligens : ce n’est pas à eux que l’historien s’adresse; mais il y a des milliers de lecteurs qui n’attendent qu’un guide pour marcher dans le droit chemin. M. Poirson, pour qui le bien n’est que le vrai mis en œuvre, sait depuis longtemps que le récit des événemens n’est pas un délassement, mais une leçon. Que ceux qui peuvent le suivre prennent courage. Si la popularité leur échappe, s’ils ne sont pas vantés dans les salons oisifs, ils auront une joie meilleure et plus solide que la popularité, le sentiment du devoir accompli. Ils verront la génération nouvelle attentive au présent, parce qu’elle connaîtra les luttes et les souffrances de ses aïeux, et ils pourront se dire avec orgueil : a L’esprit qui anime cette génération est notre esprit; elle vit de notre pensée. » Cette joie n’est-elle pas une assez belle récompense ?


GUSTAVE PLANCHE.