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Elle n’est pas moins curieuse par la lumière qu’elle jette sur le développement moral de l’écrivain. Considérez d’abord que Corambé n’a point de sexe bien déterminé, chose essentielle! L’enfant qui devait être Mme Sand, anticipant un peu trop peut-être sur les procédés futurs de l’auteur, fait subir à son héros toute sorte de métamorphoses, et rassemble en lui tous les traits préférés. Corambé a quelque chose de Jésus et beaucoup des déesses païennes. Tout cela forme un assemblage très merveilleux pour une imagination enfantine. Ajoutez quelques années, changez le nom; Corambé deviendra l’orageuse Lélia. Lélia participe aussi de cette nature qui flotte entre tous les sexes et qui n’a rien d’humain. Ce n’est point un type, connue René ou Werther, résumant les inquiétudes et les mélancolies d’un temps. Je ne sais si Lélia a vécu, si elle est morte en faisant à Trenmor la dernière confidence de son scepticisme dans la solitude de sa montagne. Je crois bien qu’en se guindant en héroïne de l’idéal, elle a l’ambition de réaliser quelque type de femme supérieure au sein d’une société menacée de dissolution. Elle s’est trompée certainement; pour peu qu’on analyse cette héroïne, elle ne fut jamais qu’un être à part prétendant ériger en loi son humeur exceptionnelle, cherchant à se mettre au-dessus des obligations et des faiblesses de la vie et se faisant une grandeur de son impuissance, un être pétri de désirs et de dégoûts, passant des curiosités dépravées à une sorte de mysticisme incohérent, et s’enveloppant, si l’on peut ainsi parler, dans l’ombre de ses passions et de ses pensées comme dans une triste auréole. Sans sexe et sans vérité, cette créature étrange ne s’élève point à la hauteur d’un personnage de l’idéal. Elle ne semble faite que pour plier sous le regard de quelque sophiste comme Trenmor, pour briser quelque poète comme Stenio, et laisser une marque indélébile dans l’âme de ceux qui l’auront connue sans jamais avoir son secret. Lélia, c’est le faux romanesque dans son épanouissement, dans sa première invasion, lorsque la maladie originelle se cache encore sous l’exubérance de l’imagination.

Bien des années sont passées depuis Lélia, bien des œuvres se sont succédé, montrant ce talent sous une multitude d’aspects, et faisant pénétrer en quelque façon jusque dans l’intimité de cette nature d’artiste. Si l’on consulte un certain ordre apparent, si l’on se fie à certaines divisions, toujours un peu factices et superficielles, la carrière poétique de Mme Sand compte plusieurs périodes, ou plutôt dans l’ensemble des productions de Mme Sand il y a divers groupes d’ouvrages qui se rattachent aux phases successives de la vie morale de l’écrivain. Il y a les ouvrages purement romanesques, fruits de l’imagination de l’inventeur, du conteur. Il y a les œuvres où règne sans partage l’esprit social, démocratique, humanitaire; c’est la période monotone et malsaine du Compagnon du Tour de