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elle n’a mieux montré ce qu’il y a de féminin dans son génie. Ses inspirations politiques ou philosophiques à une certaine heure sont uniquement le reflet de ses amitiés et de son entourage. Ce sont des idées qu’elle a reçues la veille, qu’elle embrasse successivement ou simultanément, et qu’elle reproduit avec la docilité d’un enfant terrible ou d’un écho répétant la chanson d’un pâtre. Ainsi s’explique dans ses romans l’invasion croissante d’un élément tout factice, de l’esprit social et révolutionnaire, c’est-à-dire la substitution d’un idéal systématiquement faux à l’observation directe et juste de la vie et des sentimens humains. Mme Sand met le radicalisme et l’illuminisme démocratique dans ses contes. Elle fait des ouvriers déclamateurs, des paysans presque philosophes. Dans ses personnages, on cherche des hommes, on trouve des sophismes qui marchent, qui parlent, qui prennent la place des passions et des caractères. On voit à tout moment, pour ainsi dire, le point où la vérité finit, où commencent les développemens artificiels et déclamatoires, et c’est surtout depuis Horace et le Compagnon du Tour de France qu’a éclaté cette prétentieuse manie de mettre toutes les utopies révolutionnaires en romans[1].

Certainement la spontanéité et la réflexion ont peu de part dans ce que notre contemporaine appelle ses idées sociales, et cependant ce n’est pas le hasard qui l’a jetée dans cette voie. Elle est allée droit à la démocratie la plus extrême par une intuition secrète, par une sorte d’intime affinité, parce que dans tous ces systèmes qui commencent par l’abolition des vieilles lois morales, elle a vu la théorie, la légitimation de ses instincts. Elle a cédé à l’attrait malsain des sophistes et de leurs œuvres, parce que de bonne heure elle a aimé tout ce qui ressemble à une révolte. Ceux qui se souviennent de ce temps n’ont pas oublié l’espèce de vivacité qu’elle mettait un jour à poursuivre une découverte dont elle attendait les plus merveilleux effets : elle avait trouvé dans son Berri, elle se préparait à lancer dans le monde un prêtre qui préméditait une scission avec son évêque, et qui s’occupait de confectionner dans le plus grand secret des romans humanitaires destinés à régénérer la société et la littérature. Mme Sand a découvert au courant de sa vie plus d’une gloire semblable. Dans ces entraînemens, qui peuvent quelquefois ne paraître que bizarres et puérils, il y a au fond plus de fanatisme qu’on ne pense et que ne voudrait le laisser croire le poète lui-même. C’est un fanatisme étourdi, inconsistant et léger, soit; mais qu’on ne s’y trompe pas, à travers des insouciances d’artiste, en

  1. C’est quand Mme Sand fut entrée dans cette phase du radicalisme social que la rupture de la Revue avec le célèbre écrivain devint imminente. Cette rupture se fit d’une façon définitive en octobre 1841, à l’occasion du roman d’Horace, que la direction de la Revue refusa de publier. (N. du D.)