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la puissance et l’originalité de leur esprit disparaissent dans l’observation des phénomènes qui leur sont étrangers, dans ce qu’on pourrait appeler la création désintéressée et permanente de l’art. Elles ont du génie dans les lettres familières, dans l’analyse des mouvemens de la société mondaine, parce que là tout a un caractère intime, vivant, personnel, et parce que leur regard embrasse un horizon connu ; elles n’en ont plus dans les recherches et dans les récits de l’histoire. Elles peuvent être touchantes et vraies dans la poésie, dans l’expression directe des sentimens et des passions, qu’elles surprennent et qu’elles décomposent avec une délicatesse infinie ; elles sont dépaysées dans l’étude philosophique de la nature humaine, ou même au théâtre. Il en est qui écrivent supérieurement un ou deux romans, et qui ne peuvent aller au-delà d’un petit nombre d’œuvres émouvantes et choisies. Par un privilège de leur organisation, les femmes sont dans l’heureuse impuissance d’écrire absolument pour écrire, et de se faire hommes de lettres. Elles peuvent sans doute courber leur imagination sous ce joug vulgaire d’une production quotidienne et incessante ; mais elles ne le peuvent qu’en abdiquant ce qui fait le charme et l’éclat de leur esprit.

De là des conséquences frappantes qu’il n’est point difficile de suivre jusque dans les œuvres de l’auteur d’Indiana, l’une des plus puissantes pourtant parmi les imaginations de femmes. D’abord cela est bien sensible, malgré le nombre des romans de Mme Sand, malgré cette fécondité apparente qui a donné le jour à tant de personnages, il y a moins de variété qu’on ne le pense dans ces fictions. Combien de fois n’a-t-on pas vu se reproduire cette image de Lélia, de Consuelo, image habilement nuancée, il est vrai, allant de la grande dame à la bohémienne, de l’artiste à la bergère, mais au fond invariablement identique ? Stenio, Octave, André, Sylvinet dans la Petite Fadette, n’est-ce pas toujours le même type, c’est-à-dire un être faible et incomplet ? Mme Sand aime à se jouer avec ces natures d’hommes relativement inférieures, comme elle aime à montrer la supériorité dans les femmes. Les situations se ressemblent comme les personnages, et même dans ses peintures descriptives, qu’on le remarque bien, ce n’est point le sentiment général de la nature que possède Mme Sand, c’est le sentiment de ses contrées natales, des campagnes de la Creuse et du Berri.

En outre, si Mme Sand est éloquente quand elle est vraiment elle-même, quand la femme est en quelque sorte la complice du poète, elle l’est déjà moins là où il ne reste que l’artiste cherchant laborieusement une inspiration, et elle ne l’est plus du tout au théâtre, parce que le théâtre suppose justement les qualités les plus étrangères au génie des femmes, une sorte de désintéressement de soi--