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ses qualités, et quand elle ne se trahit pas par ses qualités, elle se trahit par ses défauts. Mme Sand a prétendu à une certaine virilité, et elle n’a pu prendre aux hommes que le reflet de leurs idées, l’ombre de leurs systèmes, les petitesses de leurs passions. Elle s’est fait une organisation tout artificielle dont la naïveté est certes le moindre défaut, et, après avoir été un des enchanteurs des générations contemporaines, Lélia, par une secrète et ironique vengeance de la nature, Lélia finit comme Mme de Genlis, — une Mme de Genlis qui a rédigé des bulletins de la république, qui a écrit, elle aussi, ses mémoires, qui fait des romans avec des thèses de philosophie, et multiplie sans compter des récits devenus vulgaires.

Le prestige est évanoui. Hélas! il s’évanouit tous les jours pour bien d’autres et par des raisons qui ne sont pas essentiellement différentes, par des causes générales dont l’influence s’est fait sentir sur Mme Sand et sur bien des talens qui se sont révélés comme elle à un certain moment de notre vie contemporaine, et comme elle finissent mal. La littérature d’imagination, vue dans son ensemble, offrira certainement dans l’histoire intellectuelle de notre siècle un des chapitres les plus curieux. On y verra, à peu d’exceptions près, de la sève, du mouvement, et aucune idée de prévoyance supérieure, des instincts énergiques à qui il a manqué de devenir une force d’intelligence réfléchie, de grandes et poétiques existences allant se perdre obscurément dans de vulgaires labeurs sans dignité ou sans puissance, un premier essor merveilleux suivi d’étranges déceptions. A quoi cela tient-il? C’est que la plupart de ces talens qui se sont élevés, qui ont charmé une génération, ont eu plus d’éclat et d’exubérance que de vraie grandeur; ils n’ont pas su discipliner leurs facultés sous l’empire d’un sentiment moral prédominant. Ils ont eu de la jeunesse, ils ne sont jamais arrivés à une haute et sérieuse maturité ; ils ont été surpris dans leur croissance, pour ainsi dire, par mille influences subtiles et violentes, la vanité, la manie de l’importance et des rôles publics éclatans, les tentations du lucre, l’épidémie du sophisme. Dans l’indépendance de leurs rêves, ils ont cru que le monde leur appartenait, qu’il était en leur pouvoir de se faire une vérité à eux et de l’assouplir à toutes les mobilités de leur fantaisie, de jouer avec toutes les choses de la vie publique ou privée, idéale ou pratique, comme avec un instrument sonore. La vérité s’est éclipsée dans leurs œuvres, la saine vigueur n’a fait que diminuer dans leur talent, et ce qu’ils ont pris pour une fermentation généreuse n’était, à tout prendre, qu’une maladie morale qui les a exténués eux-mêmes, qu’ils ont communiquée, et dont les imaginations sentent le besoin de se guérir, pour se relever au niveau des justes conceptions de l’art et de la poésie.


CHARLES DE MAZADE.