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plus ou moins fidèlement pratiqués, pour expliquer la décadence de l’empire chinois; prenons-la pour un fait patent, manifeste, et qui frappe les yeux comme la lumière. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui une immense corruption déborde sur tout l’empire, c’est que la détresse financière y est extrême, et que l’argent y devient chaque jour plus rare; c’est que les sociétés secrètes, de tout temps redoutables au pouvoir, y ont acquis une puissance d’organisation plus que jamais menaçante; c’est qu’enfin depuis quatre ans une insurrection qui n’a pu être vaincue tient en échec les forces impériales et siège en souveraine à Nanking, la seconde des capitales de la Chine.

Il y a sans doute bien peu de nos lecteurs à qui nous ayons quelque chose à apprendre en leur parlant de la corruption qui existe chez les Chinois. Chacun sait à quels excès de sensualisme grossier et de dépravation intellectuelle ils se laissent aller, héritage séculaire de l’incrédulité religieuse dans les classes supérieures et de la plus abjecte idolâtrie dans les classes populaires. Ce sont là des plaies honteuses, mais avec lesquelles on a vu souvent des empires prolonger leur existence pendant des siècles. Je n’entends parler ici que de cette corruption administrative, judiciaire, gouvernementale, comme on l’appelle, portée aux derniers excès, selon le témoignage unanime des contemporains.

J’en pourrais citer avec eux de plus nombreux exemples; un ou deux me suffiront. Je disais tout à l’heure comment c’est une des traditions les plus anciennes et les plus vénérées de l’empire, et l’un des fondemens mêmes de sa constitution, de ne confier les fonctions publiques qu’aux plus dignes, et comment la solennelle épreuve des examens a été instituée pour justifier de la capacité de ceux qui concourent à cette carrière. Eh bien! voilà qu’aujourd’hui, tout en conservant la forme, devenue illusoire, des examens, ces fonctions, prix de l’intelligence et du travail, sont vendues avec une scandaleuse publicité. Il y a le marché aux emplois; les besoins du trésor épuisé le commandent. Comprend-on à quel point l’organisation sociale se trouve altérée par ce trafic, et quels bouleversemens il prépare !

Autre témoignage de cette même corruption. Par respect pour l’un de ces principes de morale fastueusement inscrits au frontispice de la législation chinoise, la culture du pavot et le commerce de l’opium sont formellement interdits. Le fils du ciel, le père des peuples, dans sa sollicitude pour la grande famille confiée à ses soins, ne veut pas lui permettre l’usage de ce poison si dangereux et si recherché! La loi donc proscrit l’opium; mais il n’y a pas un point des immenses côtes du Céleste-Empire où l’opium ne soit l’objet d’une contrebande que rien ne gêne, que les mandarins au contraire encouragent, parce