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les causes que nous avons énumérées commencèrent à se faire sentir, il fut facile de prévoir le rôle qu’elles allaient être appelées à jouer. La guerre avec les Anglais en 1840 vint ajouter un nouveau grief à tous ceux que les patriotes conservaient contre la race tartare. Les Chinois se croient supérieurs à tous les autres habitans de la terre. L’immensité de leur empire, de l’empire du milieu, quand on l’oppose aux dimensions modestes que les autres états occupent sur la carte, les longues traditions de leur histoire, leur civilisation raffinée, et qui sur tant de points a devancé la nôtre, tout contribue à augmenter leur orgueilleuse confiance. À leurs yeux, le fils du ciel est bien l’empereur universel, à qui tous les autres empires doivent hommage. La cour de Péking s’efforce d’entretenir cette opinion, qui grandit l’empereur et consolide son pouvoir en le mettant au-dessus de tout ce qui est terrestre, et pour cela elle n’a rien imaginé de mieux que de s’isoler du reste du monde et d’isoler tout l’empire avec elle. De là les édits qui interdisent aux Chinois de quitter leur pays sous peine de mort, édits qui subsistent toujours, quoique bien peu observés aujourd’hui. De là aussi les entraves apportées au trafic étranger, la jalousie avec laquelle les navires européens ont toujours été écartés, malgré le goût naturel aux Chinois pour le commerce et leur connaissance parfaite des avantages qu’ils pourraient en retirer.

Mais cet isolement ne pouvait pas durer toujours. On ne peut plus de nos jours, avec la connaissance exacte que nous avons de notre globe, quand la vapeur a tellement diminué les distances, mettre en quarantaine matérielle et morale une nation de trois cent cinquante millions d’âmes. Aussi avons-nous vu du côté de terre l’empire chinois enveloppé et menacé peu à peu par la puissance russe, tandis que les Anglais, sur toute l’étendue du littoral, ont remporté sur les armées et les flottes impériales de faciles victoires. Rien n’a plus contribué que cette guerre à irriter le vieux patriotisme chinois. On ne pardonne pas aux Tartares leurs honteuses défaites, toutes ces villes prises avec tant de promptitude et de facilité, ce traité imposé sous les murs de Nanking et si vite accepté, ce traité par lequel le fils du ciel s’est abaissé jusqu’à payer tribut aux barbares. La nouvelle s’en est rapidement propagée dans tout l’empire, portée jusqu’aux extrémités les plus reculées par les bateliers du Yang-tze-kiang et du Grand-Canal, témoins oculaires de ces événemens, et le prestige impérial en a été singulièrement affaibli.

À toutes ces causes réunies, misère, corruption de l’autorité, amoindrissement du gouvernement, vint s’en joindre encore une autre : le vieil empereur mourut. Or en Chine le changement de règne est presque toujours une époque d’agitation et de trouble.