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stant d’entrer en rapport avec qui ne reconnaîtrait pas dès l’abord la prééminence des princes du ciel sur toutes les puissances de la terre. L’orgueil était le même dans ces chefs insurgés, dont le triomphe était encore incertain, que dans le despote aux abois qui tremblait à Péking sur son trône. Ils ne voulaient rien devoir aux barbares, de peur de heurter le sentiment national et d’affaiblir le prestige de leur autorité naissante, à l’heure même où ils venaient bouleverser la religion, et avec elle toutes les institutions de leur pays!

Quelle était cette religion nouvelle destinée à remplacer les superstitions de la Chine idolâtre? Ce fut un objet curieux d’étude pour les Européens admis à converser à Nanking avec les adorateurs de Dieu. Malheureusement les notions qu’il leur a été donné de recueillir sur ce grand fait sont évidemment incomplètes et confuses, si toutefois il n’est plus vrai de dire que c’est le nouveau culte lui-même qui n’est qu’un emprunt incomplet et confus fait au christianisme. Le renversement des idoles paraît être l’acte religieux par excellence des nouveaux sectaires. Partout elles sont tombées sous leurs coups; puis ils ont proclamé un seul Dieu, Dieu le père, celui dont ils se disent les adorateurs. Appropriant grossièrement aux besoins de leur cause le dogme mystérieux et sublime de la Trinité, ils ont donné à Jésus-Christ Hung-tze-tzuen pour frère, et fait du prince de l’est le Saint-Esprit. Ces traits suffisent pour indiquer de quelle façon ils entendent le christianisme. La morale leur en est-elle mieux connue que le dogme? M. Meadows, qui était l’interprète de la mission anglaise à Nanking, raconte à ce sujet une anecdote assez curieuse. Au milieu d’une conversation froide et embarrassée qu’il avait avec l’un des princes du ciel, l’idée vint à celui-ci de lui demander s’il connaissait les règles divines. « Ne sont-elles pas au nombre de dix? répondit M. Meadows. — Certainement, répliqua avec empressement son interlocuteur. » M. Meadows ayant alors commencé à réciter les commandemens de Dieu, « — les mêmes que nous ! s’écria avec joie le prince du ciel en l’interrompant; les adorateurs d’un seul Dieu sont tous frères. »

La curiosité des visiteurs européens ne se borna pas à s’enquérir des idées au nom desquelles s’accomplissait la révolution tentée par les insurgés; ils voulurent aussi connaître leurs ressources et leur organisation militaires. Ici encore ils trouvèrent dans la pratique une assez étrange manière d’entendre le christianisme. — Attendu que toute chose au monde appartient à Dieu et à ses envoyés, les princes du ciel mettaient la main sans scrupule sur tout ce qui pouvait leur servir à conduire la guerre. Des hommes valides qu’ils rencontraient, ils faisaient partout des soldats, et de leurs familles des