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cheval sur le nœud des communications d’eau douce qui rayonnent dans toutes les directions, Shanghaï est de plus au centre des districts où se produit la soie, et à la même distance que Canton des contrées où se cultivent les thés les plus renommés. Pour cette dernière denrée, l’avantage est même du côté de Shanghaï, qui possède une navigation non interrompue jusqu’au lieu où elle se prépare, tandis que toute caisse de thé doit, avant d’arriver à Canton, traverser à des d’homme des montagnes élevées. Cette situation si heureusement privilégiée devait porter ses fruits, et le commerce européen a été en s’accroissant avec d’autant plus de rapidité qu’il était exempt des entraves et des vexations qu’il avait toujours rencontrées à Canton, le seul grand marché qui lui fût ouvert. A la facilité des transactions sont bientôt venus se joindre tous les avantages de la vie civilisée : les résidons européens ont pu avoir un quartier qui leur appartînt, se bâtir des églises, étendre librement leurs courses à quinze lieues à la ronde, chasser, avoir des yachts, comme dans l’île de Wight, et vivre avec un luxe qui n’est pas fait pour les amoindrir aux yeux des Chinois. Toutefois il a fallu beaucoup de sang-froid et d’énergie pour vaincre au début la mauvaise volonté des mandarins et les dispositions assez insolentes de la populace. Une circonstance heureuse, exploitée avec vigueur et habileté en 1848 par le consul anglais, a permis d’en finir du même coup avec ces deux causes de difficultés, et a placé la communauté européenne de Shanghaï sur le pied où elle aurait dû être partout.

Voici le fait : des missionnaires anglais, s’étant écartés de Shanghaï pour distribuer des brochures religieuses, furent rencontrés près d’une petite ville, nommée Tzing-po, par des bateliers du Grand-Canal mis en chômage par la baisse des eaux et le délabrement de ce grand ouvrage. Assaillis par ces gens brutaux, grossiers et mécontens, les missionnaires furent insultés, volés. Satisfaction fut immédiatement demandée aux autorités de Shanghaï, qui commencèrent à employer la tactique ordinaire des ajournemens, des impossibilités, des correspondances à double sens, obscures pour les Européens, mais d’une insolence parfaitement intelligible pour les Chinois. Le hasard voulait qu’en ce moment la rivière de Woosung fût remplie d’un nombre immense de jonques chargées de grains appartenant à l’empereur et prêtes à prendre la mer pour les provinces du nord. L’idée vint au consul de bloquer ces jonques. Il n’avait qu’un simple brick de guerre à sa disposition pour exécuter ce dessein, mais ce petit bâtiment était monté par des hommes capables de comprendre et de seconder son énergie. Pendant un mois, on eut le spectacle singulier d’un étranger presque seul au milieu d’une grande ville, en suspendant tout le commerce, défiant