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Une semblable création était un grand moyen de popularité. Caracaila inaugura ses thermes en s’y baignant avec la foule, qu’il y admettait. Cette familiarité indécente dut lui faire dans cette foule beaucoup de partisans. Je ne doute pas que l’usage de la grande piscine n’ait été gratuit. Bien que divers passages des auteurs fassent voir que parfois à Rome on payait pour se baigner, ces passages semblent en général se rapporter à des établissemens particuliers. Quelques-uns montrent cependant que l’entrée dans les thermes n’était pas toujours gratuite. Au temps de Lucien, on payait dans les bains publics un droit d’entrée, très faible il est vrai, deux oboles (6 sous) : plus anciennement, nous voyons Agrippa léguer en mourant des fonds à Auguste pour que les Romains pussent être admis gratuitement dans les thermes qu’il avait fondés; mais il y a lieu de croire que ceux de Caracalla étaient ouverts à tous sans rétribution. L’expression de Spartien, populum admittendo, me semble le prouver. Ce plaisir dut être donné gratis, comme ceux du cirque et de l’amphithéâtre, à ce peuple qu’il fallait amuser pour le tenir asservi. Les thermes étaient, on l’a vu, des lieux de divertissement encore plus que d’utilité publique, et il entra toujours dans la politique des mauvais empereurs romains d’acheter la faveur de la multitude par des prodigalités démesurées. Marc-Aurèle bâtissait peu, il ne construisait pas des thermes somptueux, mais il donnait de grands soins aux voies de communication; il s’occupait de l’utile. Caracalla ne fit rien en ce genre; on lui attribue seulement le pavage d’une rue magnifique, mais c’est qu’elle conduisait à ses thermes; il n’éleva de temple qu’à une déesse étrangère, Isis. Dans sa prédilection pour un tel culte et pour les robes longues, qui lui firent donner le nom de Caracalla, on voit se manifester déjà ce goût pour les usages de l’Orient, qui sera une passion chez Héliogabale. Né d’un père africain et d’une mère syrienne, Caracalla n’avait pas dans les veines une goutte de sang européen. Comment eût-il conservé quelque chose de romain? Aussi prodigua-t-il le titre de citoyen, comme il prodiguait tout. Il ne se montra pas plus avare de ce titre, dont la vieille Rome était si jalouse, que ménager des trésors de l’état, dont elle était si économe; mais cette prodigalité était, comme toujours, avide, et pour y subvenir, Caracalla accorda ou plutôt vendit le droit de cité à tous les habitans de l’empire. Grâce dérisoire! S’il déclarait tout le monde citoyen quand personne ne l’était plus, c’était pour que nul n’échappât à l’impôt du vingtième ou de 5 pour 100, et il le porta bientôt à 10 pour 100. On a dit que le monde était heureux sous les plus méchans empereurs, que leurs caprices sanguinaires n’atteignaient qu’un petit nombre de personnages considérables; mille faits démontrent le contraire : celui-ci est décisif. L’impôt étendu à tous