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des aventures qui le possédait lui-même. Rien de plus curieux que de voir en présence le chef de la civilisation et le sauvage enfant de la steppe; on dirait par instans une sorte de chevalerie barbare. L’empereur portait sur lui le portrait de sa fille Eudoxie; le chef des Khazars voit le gracieux visage de la princesse, et subitement il en devient amoureux. « Donne-moi ton armée, lui dit Héraclius, tu épouseras ma fille. » Le traité est conclu, la princesse Eudoxie part de Constantinople pour venir trouver son époux, et quarante mille Khazars grossissent l’armée de l’empereur. Aussitôt la guerre recommence avec une vigueur nouvelle. Héraclius remporte l’héroïque victoire de Ninive, qui lui donne l’Assyrie. La Perse est tout entière à la merci du vainqueur : les sanctuaires de l’antique monarchie de Darius sont renversés; la magnifique résidence de Dastagerd, le palais favori de Chosroès , est pillée de fond en comble. Il y avait là, disent les chroniques orientales, un harem de trois mille jeunes femmes servies par douze mille esclaves. Les écuries contenaient jusqu’à six mille chevaux et neuf cent soixante éléphans. Le trône était d’une merveilleuse richesse. Au-dessus du siège étaient suspendus des globes d’or qui représentaient par leur disposition les sept planètes, les douze signes du zodiaque, toute la cosmographie persane. Trois cents drapeaux pris aux Romains ornaient l’une des salles du palais. Or pierreries, tapis brodés, robes de pourpre, tout est pillé par les vainqueurs, et ce qu’on ne peut emporter devient la proie des flammes[1]. Chosroès , avec son troupeau de femmes, s’enfuit de palais en palais devant l’armée d’Héraclius, et bientôt le roi des rois, caché sous des vêtemens grossiers, n’a plus de refuge que dans les cabanes des paysans, jusqu’à ce que, trahi par les siens et victime d’une tragédie domestique, il soit mis à mort par son fils.

Quel triomphe dans le camp d’Héraclius! quel triomphe surtout à Constantinople et à Jérusalem ! Le 14 septembre 628, après avoir traversé l’Asie-Mineure au milieu des acclamations des chrétiens, Héraclius, abordant à Byzance, débarqua au faubourg de Sykes et se dirigea vers la Porte-d’Or. Quatre éléphans blancs traînaient son char triomphal. Devant lui marchait la sainte croix, reconquise sur les Perses. Partout des fleurs, des palmes, de précieux tapis étendus sur le passage du vainqueur; partout des chants et des bénédictions. Héraclius avait voulu que la croix dominât toutes ces magnificences. Quelques mois plus tard, aux premiers jours du printemps (629), il alla la restituer aux lieux saints. Ce fut un triomphe encore, mais d’un caractère bien différent. On croit lire une page de la vie de saint Louis. Des milliers de pèlerins étaient accourus de la Syrie et de

  1. Voyez, pour tous ces détails, Ritter, Erdkunde, t. IX, p. 497, et Julius Braun, Geschichte der Kunst, t. Ier, p. 256.