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à ses débuts obscurcissaient encore sa pensée, et jamais ce sage esprit n’avait atteint un degré aussi élevé de justesse et de vérité que dans son dernier ouvrage, Philosophie et Religion. Il est consolant de songer qu’au milieu de tant de tristes erreurs qui déparent tant d’ouvrages donnés pour utiles à la religion, un enseignement s’est établi dans la première école de théologie de la France qui remet en honneur les saines traditions du cartésianisme catholique, et que la jeunesse de nos séminaires peut, si elle est bien conduite, se presser autour de la chaire de M. Maret. Son dernier livre se compose de vingt-quatre de ses leçons rédigées avec réflexion, et il serait à souhaiter qu’elles eussent été entendues, non-seulement de tous les étudians en théologie, mais des supérieurs de bien des séminaires.

Le savant professeur se proposait d’établir à la fois la dignité de la raison et la nécessité de la révélation. Il était impossible qu’il ne rencontrât pas sur son chemin l’école qui semble absorber dans la révélation la raison même, et qui veut que Dieu ait eu besoin d’apprendre tout à l’homme après coup et par voie d’autorité extérieure, apparemment parce qu’il avait oublié en le créant d’en faire un être intelligent et raisonnable, et qu’il avait soufflé en vain sur sa face. Une fois en présence de cette école, M. Maret ne pouvait éviter de remonter jusqu’à M. de Bonald, et il a pris résolument le parti de s’expliquer sur la fameuse hypothèse de l’origine de la parole. Avec une franchise bien louable, il s’est décidé à tempérer par de graves restrictions l’admiration qu’il avait autrefois professée pour l’auteur de la Législation primitive, et il s’est attaché à démontrer la vanité et le danger de la solution donnée par ce dernier au problème dont il s’exagérait la difficulté et l’importance. Suivant M. Maret, dont les assertions sont d’ailleurs justifiées par des preuves, Bonald a d’abord dit fort nettement et à plusieurs reprises que les idées étaient antérieures aux mots et que la pensée précédait la parole, ce qui, pour être l’opinion de tout le monde, n’en est pas moins l’opinion vraie. Puis, sans beaucoup se soucier de la concordance d’une doctrine avec l’autre, il a soutenu qu’avant la parole l’esprit était vide et nu, que le langage seul y faisait pénétrer la pensée, et pour ainsi dire y écrivait les idées comme sur un papier blanc. De là l’impossibilité de l’invention du langage, et de cette impossibilité la nécessité d’attribuer au langage une origine miraculeuse. Ceci ne peut s’entendre que de deux manières : l’homme a été créé parlant, ou la parole lui a été communiquée par une révélation extérieure et verbale. Or M. de Bonald s’est exprimé de manière à autoriser ces deux interprétations différentes et même opposées. La seconde est la seule qui prête à sa doctrine la valeur d’une découverte; la première, sainement entendue, n’aurait aucune conséquence. Il est trop clair que si l’homme est l’œuvre de Dieu, il tient de lui le don, c’est-à-dire la faculté de