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que toutes les connaissances humaines, même les sciences profanes, même les systèmes philosophiques, même les religions fausses, prenaient leur source dans la révélation, et que le genre humain n’avait jamais eu qu’une seule foi. Or, en prodiguant ce nom sacré de révélation, on a fait comme un gouvernement aristocratique qui donnerait des lettres de noblesse à tous les citoyens, et l’on a compromis, en le généralisant, le privilège incommunicable de vérité et de sainteté regardé jusqu’ici comme le titre exclusif du christianisme. Quoique la religion soit, sur la terre, destinée à l’humanité entière, puisque le Christ est mort pour tous, il ne faut pas dire qu’elle ait été enseignée à tout le monde, et que la révélation soit, en tant que fait historique, universelle, ou bien il devient difficile de maintenir les dogmes particuliers qui en font la force et le caractère. Le traditionalisme absolu aboutit au naturalisme.

Tout cela n’a été inventé que pour mieux restaurer l’autorité de l’église et du saint-siège. La voyant ébranlée ou méconnue, on n’a, selon l’usage, imaginé rien de mieux que de la faire absolue. On a fermé les yeux sur les contradictions évidentes et les conséquences possibles, dans l’espoir de rencontrer une de ces doctrines extrêmes qui semblent supprimer toute erreur avec tout raisonnement, épais bandeau qui empêche de voir le danger et suffit à la peur. Telle était, pour la religion comme pour la politique, la doctrine qu’enseignait à son temps M. de Bonald; c’est là ce que, dans les jours de découragement, les esprits fatigues de mille mécomptes peuvent être quelquefois tentés d’accepter. La lassitude morale conduit à des extrémités, tout comme l’enthousiasme impatient d’agir et de vaincre. Ces extrémités sont les paradoxes de l’absolutisme théologique, ce sont ces résolutions désespérées qui entraînent l’homme à faire cession misérable de ses propres idées pour gagner un peu de repos, et à déposer tout droit de penser par lui-même pour échapper à la responsabilité d’une opinion. De telles circonstances sont favorables au succès ou à la réhabilitation de ces sophistes de bonne foi qui font spécieusement la théorie de la servitude intellectuelle, et démontrent, savamment à la raison et au libre arbitre que Dieu ne les a mis en ce monde ni pour raisonner ni pour vouloir. Ce serait une vraie calamité que d’honnêtes esprits, entraînés par le mouvement actuel, se crussent obligés de revenir à des thèses vingt fois condamnées, et vissent dans les rapprochemens que le temps amène entre les partis une occasion de relever les doctrines qui les ont le plus divisés, et de reprendre tout ce qui rendrait une réconciliation humiliante et par conséquent impossible. C’est de la restauration de l’erreur qu’on peut dire qu’elle est la pire des révolutions.


CHARLES DE REMUSAT.