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jourd’hui l’imitation est à l’ordre du jour. Ceux qui parlent de l’idéal sont traités de rêveurs. Il n’est pas hors de propos de chercher dans l’histoire de la peinture des argumens en faveur de la thèse que nous soutenons depuis longtemps. Si nous arrivons à prouver que l’imitation pure est insuffisante dans le paysage, nous avons cause gagnée, et nous pouvons nous dispenser d’insister en parlant de la peinture d’histoire. Procédant à la manière des géomètres, qui font passer un cercle par trois points, je ferai passer ma pensée par trois noms, qui représentent trois faces diverses du paysage : Ruysdaël, Claude Gellée, Nicolas Poussin. Si l’étude de ces trois maîtres nous donne raison, nous serons assuré d’avoir répondu à toutes les objections; si elle ne justifie pas nos affirmations, nous plierons le genou devant les doctrines que nous avons combattues.

Mais, avant de parler de Ruysdaël, de Claude Gellée, de Nicolas Poussin, il importe de considérer sous quels aspects peut s’offrir le paysage. Sans cette étude préliminaire et générale, l’étude individuelle de ces trois grands maîtres demeurerait sans profit, ou du moins ne résoudrait pas la question que nous venons de poser. De tous les problèmes que la peinture peut aborder, il est hors de doute que la représentation du paysage est un des plus faciles. Il est évident en effet qu’un chêne immobile est plus aisé à saisir, à représenter qu’une figure humaine, dont les mouvemens sont gouvernés par la passion. Cependant il ne faut pas s’abuser sur la nature de ce problème. Le même paysage, offert à des intelligences diversement douées, produit des impressions diverses, et si je ne me trompe, la diversité de ces impressions représente fidèlement le développement intellectuel des spectateurs. Il y a des peintres qui n’aperçoivent rien au-delà de la scène offerte à leurs yeux : ils voient, ils regardent, ils se souviennent de ce qu’ils ont vu; ne leur demandons rien de plus, car leur intelligence ne saurait aller au-delà. Ils se rappellent fidèlement la mousse qui couvre le pied du chêne, les lichens qui enveloppent la tige, et sont capables de reproduire ce qu’ils ont vu; mais si vous leur demandez ce que signifie le paysage qu’ils ont étudié, ils vous répondront ingénument qu’ils n’en savent rien, et ils seront sincères. Ne craignez pas qu’ils se calomnient, ils sont de très bonne foi. Ils se rappellent ce qu’ils ont vu, et ne mentent pas quand ils affirment qu’ils ne peuvent rien voir au-delà. Il faut leur tenir compte de leur franchise et ne pas leur demander ce qu’ils ignorent.

Il y a dans l’aspect de la nature des sources d’émotion qui ne sont pas à la portée de toutes les intelligences. La forme d’une montagne, la profondeur d’une vallée, qui ne signifient rien pour un spectateur étranger à toutes les passions, ont un sens très nettement déterminé