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qu’il s’agit d’encadrer l’expression d’une pensée dans un paysage, la simplicité acquiert une immense importance. Est-ce la campagne romaine qui a déterminé le caractère habituel des compositions signées de ces deux noms illustres? Est-ce au contraire la nature même de leur génie qui a porté ces deux hommes si richement doués à préférer l’Italie à la France? Je croirais volontiers que chacune de ces deux solutions renferme une part de vérité. Nous avons des montagnes et des vallées qu’on ne peut contempler sans ravissement; mais trop souvent les détails sont tellement nombreux et tellement variés, qu’ils suffisent pour occuper l’attention. Il n’est pas défendu d’en supprimer une partie, mais comme ils intéressent par leur aspect original, le peintre se laisse aller au plaisir de les conserver. Il ne sent pas le besoin d’animer ce qu’il voit en cherchant dans la nature l’expression d’une pensée purement humaine. La simplicité de la campagne romaine invite à la méditation. Les ruines des aqueducs, les montagnes qui se découpent à l’horizon et qui paraissent voisines, quoique placées souvent à dix lieues de distance, les plantes sauvages qui envahissent la plaine, tout oblige l’homme à se replier sur lui-même. S’il tient le crayon ou le pinceau, il sent le besoin d’encadrer dans ce paysage solennel quelque scène empruntée au passé, ou bien, si l’histoire ne lui est pas familière, il s’abandonne à sa rêverie, et veut associer à l’expression de ses souvenirs personnels la forme des ruines, la ligne des montagnes et la plaine qui ne connaît plus le soc de la charrue.

Je ne m’étonne donc pas que Nicolas Poussin et Claude Lorrain aient préféré le paysage romain au paysage de leur pays. Cependant, tout en m’expliquant cette préférence, je ne voudrais pas conseiller aux peintres français de traiter des sujets du même ordre en les plaçant dans le même cadre. Ce qui me semblerait expédient pour donner au paysage de notre temps l’élévation, la grandeur et la simplicité qui lui manquent, ce serait d’étudier l’Italie avant d’imiter ce que nous avons sous les yeux. Cet avis pourra sembler singulier à plus d’un lecteur. Toutefois je crois qu’il n’étonnera pas ceux qui ont l’habitude de réfléchir. Quel devrait être en effet le fruit naturel de cette étude préliminaire? Le peintre qui tenterait l’imitation de l’Auvergne ou du Dauphiné, après avoir visité l’Italie, serait amené à son insu à simplifier ce qu’il aurait devant lui. Avec le secours de ses souvenirs, il agrandirait le modèle qu’il aurait choisi, au lieu de le copier. Et qu’on ne vienne pas dire que l’application d’une telle méthode s’opposerait au développement des génies originaux : autant vaudrait affirmer que la lecture des poètes de l’antiquité empêche l’expression d’une pensée nouvelle. Le spectacle de la nature italienne rend au paysagiste le même service que