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nages jusqu’à l’extrémité de l’antiquité sacrée ou fabuleuse. La distance ajoutera à leur taille, et l’habitude, cessant de les mesurer, cessera de les avilir. Le fils de Circé, Comus, couronné de lierre, dieu des bois retentissans et de l’orgie tumultueuse ; Samson, le contempteur des géans, l’élu du Dieu fort, l’exterminateur des idolâtres, passeront devant les yeux comme des statues surhumaines, et l’éloignement, frustrant nos mains curieuses, préservera notre admiration et leur majesté. Montons plus loin et plus haut, à l’origine des choses, parmi les êtres éternels, jusqu’aux commencemens de la pensée et de la vie, jusqu’aux combats de Dieu, dans le monde inconnu où les sentimens et les êtres, élevés au-dessus de la portée de l’homme, échappent à son jugement et à sa critique pour commander sa vénération et sa terreur. Que le chant soutenu des vers solennels déploie les actions de ces vagues figures ; nous éprouverons la même émotion que dans une cathédrale, quand l’orgue prolonge ses roulemens sous les arches, et qu’à travers l’illumination des cierges, les nuages d’encens brouillent les formes colossales des piliers.

Mais dans les sujets divins les images sont humaines. Un poète a beau inventer, c’est de sa terre qu’il tire les matériaux de son ciel. Il n’a que des objets vulgaires pour composer des objets sublimes, et le grandiose de l’ensemble ne se rencontre point dans les détails. Comment faire pour l’y mettre ? Si les choses réelles nous laissent froids, c’est que la beauté y est rare. Accumulons-y la beauté ; d’elle-même l’indifférence se change en admiration. Voici, dans Lycidas, une vallée fleurie et reposée. La description la transfigure, et notre émotion multipliée égale la profusion de ses splendeurs.


« Vous, creuses vallées, où de doux chuchotemens habitent — dans les ombrages, dans les vents folâtres, dans les sources jaillissantes, — dont Sirius brûlant épargne le frais giron, — jetez ici tous les émaux de vos yeux rayonnans, — qui sur le gazon vert boivent les rosées parfumées, — et empourprez tout le sol de fleurs printanières ! — Apportez la primevère hâtive qui meurt vierge, — l’astragale touffue et le pâle jasmin, — l’œillet blanc, la pensée bigarrée de jais, — l’ardente violette, la rose musquée, le chèvrefeuille paré, — avec le coucou allangui qui penche sa tête pensive, — et toutes les fleurs qui portent une broderie mélancolique. — Dites à l’amarante d’ouvrir toute sa beauté, — aux narcisses de remplir leurs coupes de pleurs. »


Vous ne voyez ici que de l’abondance. Ailleurs l’abondance s’enfle jusqu’au débordement. Il se fait dans cet esprit comme une végétation de fleurs orientales dont l’entassement et l’énormité écrasent tout le luxe de nos parterres européens.


« Pourquoi la nature a-t-elle épanché ses largesses — d’une main si pleine