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L’Oued-Narah a sa source dans un col qui mène, à travers le Djebel-Lazerek, dans le bassin de l’Oued-Abiad. Derrière ce col, nommé Tauzougart (le col des jujubiers sauvages), se trouvaient de nombreux villages, Tazemelt, Aïn-Roumia, Iguelfen, Taughanimt, situés sur le versant sud du Djebel-Lazerek. Les gens de Narah y avaient fait passer leurs familles, leurs troupeaux, et y avaient caché leurs biens les plus précieux, les croyant à l’abri de toute atteinte. Eux-mêmes, aidés des nombreux contingens de l’Oued-xVbiad, venus à leur secours, occupaient fortement leur ville.

Ces renseignemens fournis par les espions de M. Seroka, chargé des affaires arabes de la colonne, déterminèrent le plan d’attaque. Trois colonnes sans bagages et pourvues de deux journées de vivres devaient surprendre et enlever les positions de Narah à la pointe du jour, en attaquant par trois côtés différens. Si elles ne réussissaient pas à emporter le village principal par un coup de vigueur, elles remonteraient le ravin, se réuniraient vers le col pour le franchir à tire-d’aile et tomber à l’improviste sur Taughanimt et Iguelfen, où l’on ferait une razzia de toutes les richesses appartenant à l’ennemi. Cette opération en dehors des prévisions de la défense devait produire un effet certain. Outre qu’on atteignait Narah dans ses biens, par l’enlèvement des familles on pouvait l’amener à la soumission. Toutefois le plan n’eut pas besoin d’être exécuté comme il avait été conçu; la vaillance de nos soldats l’abrégea singulièrement.

Le 4 au soir, le colonel Canrobert réunit auprès de sa tente les chefs de corps pour leur expliquer ses projets et les détails d’exécution qu’il leur confiait; puis, se rendant avec eux sur un mamelon de la rive droite de l’Abdi, il leur montra le faîte d’une maison se détachant des ombres de la montagne, qui indiquait seule la vraie position de Narah. Dès le matin, nos soldats avaient construit des retranchemens en pierres sèches pour mettre à l’abri de toute atteinte sérieuse nos bagages et nos approvisionnemens, qu’on devait laisser à la garde des hommes les moins valides, formant un effectif de 800 hommes et appuyés par un obusier de montagne.

Ce fut une grande joie dans le camp, lorsque l’on y connut les ordres de combat pour le lendemain. Les soldats sont comme les enfans, tout changement leur plaît: d’ailleurs ils voyaient dans ce dernier effort qu’ils allaient tenter la fin assurée d’une existence nomade de cinq mois pleine d’épreuves et de souffrances. Chaque homme avait reçu le soir, comme gratification, une ration extraordinaire de sucre et de café. La difficulté, dans ces gorges sans routes, de faire arriver du vin, dont le soldat est toujours très friand en campagne, n’avait pas permis d’autre distribution. Le soldat le sa-