Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consacré ses veilles, la traduction de Médée. Ainsi voilà un homme parvenu à l’âge mûr de la vie, un écrivain éprouvé par les luttes politiques qui l’ont un moment introduit dans les conseils du gouvernement de son pays, le voilà débutant à la scène sans se faire illusion sur les dangers d’un de ces échecs dont la jeunesse seule se relève : c’est là un acte de courage qui aurait en tout cas commandé la sympathie.

Le sujet de Camma est emprunté, on le sait, à Plutarque, et je n’ai point à citer ici la naïve et charmante page d’Amyot que M. Montanelli a mise en tête de sa tragédie ; je ne dirai rien non plus de la Camma dont Thomas Corneille a enrichi notre théâtre. N’imitant guère que les défauts des grands écrivains qui l’entourent, Thomas Corneille peint Brutus galant et Caton dameret ; il fait de la prêtresse gauloise une reine de Galatie, ou plutôt une reine française ; il l’entoure de deux amans, dont l’un veut toujours tuer, et l’autre toujours mourir ; il multiplie les personnages parasites, les combinaisons invraisemblables, les coups de théâtre ridicules. C’est pour n’avoir pas suivi ce triste exemple, c’est pour s’être transporté dans l’antiquité et y avoir vécu quelques mois par la pensée que M. Montanelli a mérité de réussir. On doit lui savoir gré de n’avoir rien cherché au-delà des élémens qui suffisaient à la muse antique pour émouvoir le spectateur. Il s’est pénétré des mœurs et des idées gauloises, il a su les faire revivre dans sa tragédie avec une rare fidélité. Camma et les autres personnages ne sont ni Grecs, ni Romains, ni même Français ; Gaulois amollis par le climat de l’Asie, ils conservent encore au cœur des forêts de la Galatie les superstitions ou les croyances de leurs ancêtres, déjà battues en brèche par la théologie envahissante des Romains. Cette foi à la survivance réelle des morts dans d’autres étoiles, ce pieux désir de les rejoindre, ce détachement des choses de la terre qui en est la conséquence, voilà bien les signes caractéristiques du vieux dogme des druides, qu’historiens et poètes s’étudient à remettre sous nos yeux.

En s’inspirant ainsi des croyances gauloises pour le fond et de l’antiquité classique pour la forme, M. Montanelli cependant ne s’est pas flatté, j’imagine, de faire une œuvre vivante. Si les passions de l’homme sont éternellement les mêmes, elles prennent, suivant les siècles, des allures trop diverses pour qu’on puisse, sans une grande force d’abstraction, vivre au milieu d’elles et ne pas se sentir dépaysé. La jouissance qu’un tel commerce nous cause est donc purement intellectuelle, et les œuvres de l’esprit où l’on évoque l’antiquité ne s’adressent qu’au petit nombre des hommes éclairés pour qui le passé a tout ensemble le charme d’un souvenir et l’intérêt sévère d’un enseignement. Dignes d’estime et quelquefois d’admiration, les poètes qui s’inspirent du génie antique non pour peindre la vie moderne, mais pour reproduire l’image des temps écoulés, ne nous touchent guère et obtiennent difficilement la popularité.

Ces réserves faites sur la nature et la portée du succès auquel Camma pouvait prétendre, il y a quelques objections à présenter aussi contre la forme poétique adoptée par l’auteur. Tout le monde a remarqué ce tour obstinément lyrique, cette profusion d’images trop souvent empruntées à la nature physique. Ce serait rendre un mauvais service à M. Montanelli que de dresser une statistique exacte des tempêtes, des éclairs, des nuages, des fleurs, des roses, qui figurent dans sa tragédie. Je sais que ce système n’est pas sans