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l’Opéra. Que de choses ne ferait-il pas avec l’argent que les éditeurs de musique s’empresseraient de lui apporter de tous côtés! Il se souvint même de sa femme, et lui donna en imagination un meuble en bois de rose pour sa chambre à coucher. Cependant le poème n’arrivait pas, et le piano restait muet. Enfin, persécuté par Paul Vilon, le directeur, auquel M. de Béjaud avait dit un mot, remit une moitié d’acte à Urbain. — Travaillez toujours là-dessus, le reste viendra plus tard, lui dit-il.

Quand il vit ces quelques feuilles de papier, Urbain, au lieu de chercher une inspiration nouvelle, et de se bien pénétrer du caractère des personnages et de la situation, appliqua sur les paroles une musique dont les premières mesures dataient de Blois. Ainsi fait, ce travail fut terminé en dix jours. — Déjà? s’écria le directeur en revoyant Urbain. Le compositeur rougit. — C’est improvisé, dit-il, mais j’étais en verve. — Nous verrons bien, répondit le directeur froidement. Il remit à Urbain la fin de l’acte scène à scène. Le procédé qui avait servi pour la première partie servit pour la seconde. La prophétie faite par Paul Vilon commençait à se réaliser. Le compositeur ne savait déjà plus soumettre son esprit au travail. L’idée première était toujours la meilleure et la bien-venue. Un soir, Urbain exécuta l’acte tout entier au piano, devant le directeur, Paul et M. de Béjaud. Il avait, on le sait, une exécution facile et une voix fraîche dont il se servait avec beaucoup d’art. Le finale achevé, M. de Béjaud applaudit avec transport, et baisa la main de Madeleine dans un bel élan d’enthousiasme. — Ah! madame, quelle musique! Le directeur se leva. — J’ai affaire au théâtre, nous causerons de cela demain, dit-il. L’expression de son visage était glacée. Cependant Urbain, qui s’était grisé lui-même en jouant, le suivit, entraînant M. de Béjaud, dont il voulait être épaulé.

Le lendemain de cette soirée, Urbain était inquiet. Il le fut bien plus encore les jours suivans. Le directeur ne se montrait pas fort empressé et faisait mille objections. Urbain fit une tentative nouvelle auprès de M. de Béjaud, qui promit de donner une réponse définitive avant la fin de la semaine. Pendant trois jours, Urbain ne vécut pas. Comme il montait chez lui le soir du quatrième, il croisa M. de Béjaud sur l’escalier. Il en reçut un salut froid.

— Ah! que je suis fâché de ne m’être pas trouvé chez moi! dit Urbain.

— Ce que j’avais à vous dire n’a nulle importance; il s’agit d’un nouvel ajournement, répondit le capitaliste d’un air rogue, et il passa.

Urbain trouva sa femme émue, debout, accoudée sur le coin de la cheminée. — M. de Béjaud sort d’ici, dit-il en jetant son chapeau sur un meuble, il m’a presque évité... Que lui as-tu donc fait?