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cette boucle de cheveux cendrés et fins qui frissonnaient entre ses doigts. — Si c’est là ce qu’on appelle l’amour, quel triste roman!... Ceci m’apprendra à voyager en province,... reprit-il un moment après. Il voulut rire, mais le rire expira sur ses lèvres. Il se sentait comme un poids lourd sur le cœur. A deux reprises différentes, il couvrit de baisers les cheveux de Louison. — Est-ce absurde! dit-il, et il les serra dans son portefeuille. A l’Hôtel d’Angleterre, on lui dit que le train pour Paris partait dans une demi-heure. Il courut dans sa chambre, fit sa malle en un tour de main, paya la note et se fit conduire au chemin de fer; la locomotive siffla, et il s’enfonça dans un coin du wagon. Tout à coup il sauta à la portière et regarda dans la nuit du côté de Blois. Quelques lumières piquaient l’ombre; une masse noire indiquait l’emplacement du château. Il crut voir la clarté d’une lampe dans une maisonnette, derrière un jardin, tout auprès. — Ah! se dit-il, je ne la reverrai peut-être jamais! — Il retomba dans son coin et se cacha le visage entre ses mains.

Que faisait Urbain pendant ce temps-là? Il descendait à pas rapides la pente où il avait mis le pied. Durant ses premiers jours de liberté, il avait éprouvé une sorte d’enivrement. Un matin il déjeunait aux Champs-Elysées, un soir il dînait sur le boulevard. Il se rappelait le temps où il était élève du Conservatoire; les deux cent cinquante francs qu’il touchait par mois lui semblaient inépuisables. D’ailleurs n’avait-il pas les ressources de la composition? Une chaleur factice l’enflammait; trois ou quatre fois il s’assit devant un piano qu’il avait loué, et il écrivit une valse ou deux. Il eut des billets pour les premières représentations, et se plongea tout entier dans cette atmosphère tapageuse dont il avait été sevré. La première fois qu’il conduisit l’orchestre dans le pavillon de la Charmille des Rosiers, il fut électrisé par le retentissement des cornets à piston et le ronflement des basses. — Ah ! je me sens vivre! dit-il.

Bientôt Urbain eut un compte ouvert au café le plus voisin du bal. Il ne se gêna guère pour engager ses amis. Les amis ne venaient pas toujours seuls; la fugitive Mlle Irma ne manquait pas de sœurs. Urbain en fit la découverte, et les choses prirent un train si singulier que le piano qui devait relever sa réputation n’aurait jamais perdu sa poussière, si des châles et des burnous ne l’eussent parfois essuyé. Le désordre était dans sa chambre et le chaos dans son esprit. Un matin, le cafetier apporta sa note. Urbain regarda le total d’un coup d’œil et renvoya l’homme à Bergevin avec le geste d’un grand seigneur qui congédie ses fournisseurs. Malheureusement les fonctions d’intendant plaisaient peu au directeur. — Parbleu! dit-il, je ne suis pas allé le chercher à Blois pour payer ses folies! — Il mit à la porte le cafetier. Urbain furieux demanda une explication : elle fut