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Attentive aux débats, elle en signale hautement les irrégularités ou les lacunes ; quand tout est fini, elle juge le jugement avec une liberté sévère, et il en est plus d’un qu’elle a cassé. Non-seulement les juges, comme dans la célèbre affaire du lieutenant Perry, relèvent de ses appréciations et de ses censures, mais les jurés eux-mêmes ne peuvent pas indifféremment s’acquitter bien ou mal de leur devoir envers l’accusé et envers la société qui l’accuse. Tel jury, dit quelquefois le Times, vient, dans telle affaire, de manquer gravement à son devoir envers le public. Cette vigilance vient singulièrement en aide au caractère national et à la conscience ordinaire du jury anglais pour assurer la sincérité des jugemens. Il y a plus, l’exécution même de ces jugemens est, s’il le faut, réclamée par la presse, et le droit de grâce ne s’exerce jamais qu’elle ne donne hautement son avis, au nom de l’intérêt public, sans aucun de ces scrupules qui parmi nous empêcheraient peut-être l’écrivain le plus convaincu de presser l’exécution du plus vil criminel.

La liberté de tout dire sur tous ces sujets, et en même temps la nécessité absolue de parler au public le seul langage qu’il entende et qui lui plaise, donnent aux articles de fond de la presse anglaise un caractère unique de simplicité, de familiarité et d’énergie. On y trouve les comparaisons les plus triviales à côté du raisonnement le plus fort et le plus clair. Les affaires les plus hautes y sont volontairement ramenées aux proportions les plus vulgaires ; la nation y est presque toujours représentée sous les traits d’un simple particulier qui, se trouvant dans une situation donnée, cherche à en tirer le meilleur parti. Les plus grandes guerres, les plus importantes négociations sont, autant qu’il est possible, assimilées aux actes ordinaires de la vie privée, et l’on fait en sorte que chaque lecteur puisse s’y démêler et y prendre parti d’après les règles du bon sens, et aussi aisément que dans ses propres affaires. C’est un genre particulier d’éloquence dont on peut trouver le plus parfait modèle dans les argumentations les plus serrées et les plus familières de Démosthène. Ajoutez à cette chaîne de raisonnemens quelques traits de cette ironie pénétrante et surtout amère que Swift a portée jusqu’au génie, et vous avez le fond le plus ordinaire d’un bon article du Times. Il n’est point étonnant que de tels articles soient peu goûtés en France, qu’ils y paraissent à la fois trop étroits, trop vulgaires et trop violens. Ils sont peu conformes à notre génie ; nous leur préférons de beaucoup le doux éclat des idées générales et des termes abstraits. De plus, quand ils ne sont pas mutilés, ils sont généralement mal traduits, ce qui est aisé à comprendre, car il ne suffit pas plus de savoir l’anglais pour les transporter dans notre langue que l’intelligence vulgaire du latin ne suffirait à un traducteur de Lucrèce