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religieux, de l’aveu de tout le monde, comme il l’était au XVIIe siècle, pourquoi il ne l’était point ou l’était peu dans la poésie, et, pour me renfermer ici dans la poésie dramatique, pourquoi le théâtre du XVIIe siècle exprime si peu et si rarement le génie religieux du temps. Où sont au XVIIe siècle les grands drames religieux en France ? Le Polyeucte de Corneille, l’Esther et l’Athalie de Racine, voilà, encore un coup, toute la littérature religieuse dramatique du XVIIe siècle. C’est beaucoup pour la qualité, c’est peu pour la quantité. Je sais bien que la quantité aussi s’y trouve, si on veut la chercher, et qu’on peut exhumer de l’oubli un assez grand nombre de tragédies saintes du XVIIe siècle. Ces exhumations, qui peuvent plaire à la curiosité littéraire, ne donneront pas au XVIIe siècle le théâtre religieux qu’il n’a pas eu. La postérité a prononcé. Le théâtre sacré du XVIIe siècle se compose de Polyeucte, d’Esther et d’Athalie, et la mémoire publique ne consentira pas, sur la foi des recherches de l’érudition littéraire, à rapprendre ce qu’elle a oublié.

L’idée religieuse a donc peu de part dans la poésie dramatique du XVIIe siècle, quoique le sentiment religieux ait une grande part dans la conscience du temps. Faut-il se plaindre, faut-il s’étonner du, caractère profane du théâtre au XVIIe siècle ? Est-ce un trait qui soit propre au caractère français ? Et d’abord, où y a-t-il donc chez les autres peuples un théâtre tout sacré et tout religieux ? Est-ce en Angleterre ? est-ce en Allemagne ? Est-ce Shakspeare ? est-ce Schiller et Goethe ? Est-ce en Italie ? Est-ce même dans le théâtre espagnol, dont on a voulu faire un théâtre tout catholique, et qui n’en est pas moins consacré à l’expression des sentimens profanes ? L’influence chrétienne est partout, grâce à Dieu, répandue dans la littérature européenne, dont elle est la plus noble et la meilleure inspiration ; mais les dogmes et les mystères chrétiens, ou la vie des saints et des martyrs, ne sont nulle part le fonds du théâtre et l’entretien ordinaire de la tragédie.


II

Toute l’Europe, au XVIe siècle, a subi l’influence de la renaissance, toute l’Europe s’est à qui mieux mieux sécularisée dans sa littérature encore bien plus que dans sa législation ; mais nulle part la révolution n’a été plus grande qu’au théâtre. Le théâtre, chose singulière, appartenait à l’église. Les mystères ne sont pas une œuvre littéraire, mais une institution liturgique. Mon savant confrère de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, M. Magnin, dans son excellent ouvrage des Origines du Théâtre moderne, dont il n’a malheureusement