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on y avait trouvé aussi des amas d’écaillés d’huîtres et de coquilles de moules, des morceaux de bois à demi consumés, indices certains que des hommes avaient séjourné sur les bords de ce havre solitaire. Une exploration plus complète confirma toutes nos espérances. Par une belle matinée d’automne, profitant du calme qui régnait d’ordinaire pendant quelques heures après le lever du soleil, nous quittâmes notre premier mouillage, et nous fîmes remorquer les corvettes par nos embarcations dans ce port admirable, auquel nous donnâmes le nom de Port-du-Nord.

Nos bâtimens une fois en sûreté, on s’occupa activement des réparations les plus urgentes. Les gréemens furent visités, nous renouvelâmes sans peine notre approvisionnement d’eau et de bois ; mais nous vîmes avec un profond regret qu’on n’avait pas donné à nos vivres les soins qu’eût exigés une aussi longue campagne. Le biscuit surtout était envahi par des myriades de larves et d’insectes. Les galettes, perforées et traversées dans tous les sens, tombaient en poussière dès qu’on les touchait. Ces insectes microscopiques étaient devenus horriblement incommodes, ils volaient partout, et on ne pouvait respirer sans risquer d’en absorber quelques-uns par la bouche ou par les narines. À ce fléau s’en était joint un autre non moins désagréable. Les cancrelats s’étaient multipliés avec une telle fécondité, que les corvettes en avaient été infestées en très peu de temps ; les rats de leur côté avaient pullulé avec non moins de succès. Tous ces animaux développaient dans l’intérieur de nos bâtimens une odeur nauséabonde. Je pris le parti de leur laisser la place libre, et de ne plus coucher que sur le pont. Je fis choix à cet effet d’une cage à poules placée sur les passavans, et, quel que fût le temps, pendant le reste de la campagne, je ne voulus pas avoir d’autre lit. S’il venait à pleuvoir, je m’enveloppais, comme un soldat au bivouac, d’une large capote. C’est ainsi que j’ai dormi durant dix-huit mois, exempt des indispositions dont tous mes camarades ont eu plus ou moins à souffrir.

Le temps que nous passâmes dans le Port-du-Nord fut employé à reconnaître les côtes environnantes. Des canots, sous le commandement d’officiers, levèrent d’abord le plan d’un autre port, situé dans la même baie, en regard de celui où nos bâtimens stationnaient. Ce havre, tout aussi sûr que celui dont la découverte avait excité notre enthousiasme, reçut le nom de Port-du-Sud. D’autres embarcations, munies de trois jours de vivres, sortirent de la baie et, se dirigeant vers le nord, poussèrent leurs explorations jusqu’à près de trente milles des corvettes. De tous côtés de nouveaux ports s’offrirent aux regards émerveillés de nos géographes. On croyait s’enfoncer dans un golfe immense dont on s’attendait à voir à chaque instant le