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laissait souffler dans les longues trompettes recourbées qui pouvaient l’effrayer encore, mais qui ne lui commandaient plus le respect. Entraînées par un irrésistible désir d’adorer une divinité et de lui adresser des prières, les populations hindoues avaient bien pu mettre la sainte auréole autour du front de Çâkya, qui ne l’ambitionna jamais ; ce qui vaut mieux, c’est qu’elles avaient aussi pris au sérieux ses enseignemens de morale, au moins dans une certaine mesure. On voyait d’innombrables monastères couvrir le sol de l’Inde quelques siècles après la mort du réformateur. Dans les temps de la première ferveur, on y vécut régulièrement. Toute l’activité de l’esprit se tournait vers la contemplation ; l’étude et la compilation des textes sacrés absorbaient complètement les pieux fidèles qui avaient déclaré à leurs sens une guerre opiniâtre. Depuis le pays de Bamyan jusque sur les deux rives de la presqu’île et jusqu’à Ceylan, des milliers de saints personnages, nommés arhat, étudiaient, avec ardeur et enseignaient avec zèle les traités relatifs aux dogmes, à la discipline et aux divers systèmes sortis de la doctrine bouddhique. De toutes les contrées de l’Inde il s’élevait comme un murmure confus de voix priant, récitant les formules consacrées, répétant sans relâche avec ferveur et espérance le nom de Bouddha. Les Hindous de toutes les classes, moins les brahmanes[1], semblaient ne former qu’un peuple de religieux discutant sur les mérites de Çâkya, sur les actes de sa vie, sur ses prodiges, sur sa mort triomphante, et aussi de casuistes occupés à approfondir les puérilités les plus niaises.

Dans l’intimité des familles et dans la vie domestique, on adorait aussi Bouddha, et on lui présentait des offrandes. On racontait les histoires merveilleuses et édifiantes de marchands navigateurs sauvés du naufrage pour avoir invoqué son nom, de bonzes voyageurs qui avaient converti des brigands prêts à les égorger ; on parlait encore de brahmanes forcés de se rendre à l’évidence de la doctrine bouddhique et d’en proclamer la vérité. Dans les contrées où les représentans de l’ancienne loi résistaient avec obstination aux entraînemens de la foule, on en venait à se battre à coups de discours. Il y avait des colloques entre les brahmanes les plus savans et les bonzes les plus instruits. Dans ces réunions solennelles ; on discutait vivement et longuement ; souvent on se séparait sans s’être entendu, et plus ennemis qu’auparavant, mais avec les apparences de la cordialité. Quelquefois un brahmane, fier de sa science, proposait un défi à ses antagonistes avec cette clause que la langue du vaincu serait clouée sur un poteau. Venaient ensuite les persécutions des adhérons du brahmanisme contre les sectateurs des dogmes

  1. Encore y en eut-il quelques-uns qui adoptèrent et professèrent publiquement la doctrine nouvelle.