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par ces mêmes inscriptions que la sagacité des philologues modernes devait déchiffrer malgré la forme étrange à une écriture vieille de vingt siècles. L’autorité des brahmanes est éclipsée, puisque l’enseignement ne leur appartient plus. Il n’y a plus de castes, puisque la même morale est prêchée à toute la population, puisque la parole royale convie tous les habitans du pays à la pratique des mêmes austérités et des mêmes devoirs. Le prince dévot qui a écrit ses mandemens sur le granit croyait à la pérennité de sa foi ; il la voyait s’étendre autour de lui et sous sa protection jusqu’aux confins de son royaume. En une occasion solennelle, il donna à manger à soixante mille religieux, s’il faut en croire les textes bouddhiques. Que l’on réduise de moitié ce chiffre prodigieux, il n’en demeure pas moins évident que, trois siècles après la mort de Çâkya[1], des milliers d’Hindous de toutes les classes se vouaient, à l’exemple du maître, au silence et à la retraite. Les trésors des rois, jadis consacrés à fonder des temples brahmaniques, s’épuisaient à construire des monastères grands comme des villes, et à couler en or et en argent de colossales statues de Bouddha. Il faut convenir que les princes devaient bien quelque reconnaissance à la doctrine nouvelle qui les débarrassait de la tutelle des brahmanes, et les plaçait véritablement à la tête de la société. Cependant l’aristocratie guerrière s’abaissait du même coup. Les descendans des grandes familles aryennes reniaient le passé glorieux de leur race. Noblesse conquérante et peuples conquis s’absorbaient dans une même pensée, méditer, discuter, invoquer Bouddha. On eût dit qu’il n’y avait plus dans l’Inde que des disciples de Çâkya-Mouni, des religieux, des demi-religieux, des prédicans et des auditeurs attentifs. Il semblait que la nation entière n’avait qu’une seule passion : vivre de la vie contemplative.


III.

Tout insolite qu’il fût, cet état de choses dura plusieurs siècles. Pour s’expliquer comment il finit, il importe d’examiner comment il avait commencé. Dans la doctrine prêchée par Çâkya se révélait un attrait de nouveauté et d’indépendance qui charmait les populations ; il y avait aussi dans la personne et dans la parole du réformateur qui parlait aux foules un prestige particulier. Çâkya parcourait les provinces de l’Inde en y exposant ses dogmes, tantôt mal accueilli par les rois, tantôt appelé par eux et reçu avec de grands honneurs. On vit même des princes régnans se convertir avec tout leur peuple, tant l’exemple qui vient d’en haut a d’efficacité sur les masses ! Ses

  1. On s’accorde généralement à croire qu’il vécut au Vie siècle avant notre ère.