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et la vie de l’Évangile. Si l’évêque de Mayence, à propos de l’anniversaire séculaire de l’introduction du christianisme dans les pays germaniques, jette l’injure à l’Allemagne des trois derniers siècles, M. de Bunsen relève le défi et proclame, au nom de la loi du Christ, la mission religieuse de sa race. D’un bout de l’Europe à l’autre, il dénonce, comme les symptômes d’une période néfaste, tous les actes de persécution ecclésiastique qui ont affligé dans ces derniers temps les âmes libérales et chrétiennes. C’est un moine de Bohême, Jean-Evangelista Borczynski, qui est jeté en prison et traité avec la dernière rigueur pour être passé de l’église romaine à l’église évangélique ; c’est un prêtre de Prague, Joachim Zazule, enfermé dans un cachot depuis plus de vingt ans et soumis au traitement des fous, parce qu’il a commis le même crime que Borczynski ; c’est le Florentin Domenico Cecchetti, c’est le Napolitain Madiaï, victimes d’une église jalouse assistée de la police. Tous ces faits et d’autres encore, signalés par M. de Bunsen avec la précision et l’impartialité d’un juge, sont pour lui l’objet d’une étude approfondie sur une des maladies morales de notre époque. Il est surtout saisi d’une amère tristesse, quand il voit cette fièvre de persécution, cette soif d’absolutisme dans le sein même de l’église qui s’enorgueillit d’avoir fondé la liberté religieuse. Les plus belles pages de M. de Bunsen sont celles où il met en pièces les prétentions de M. Stahl et de ses amis au gouvernement des consciences. Il n’y a qu’une lacune dans ce livre, c’est en vérité un étrange oubli. M. de Bunsen attaque l’intolérance en Allemagne, en France, en Espagne, dans le grand-duché de Toscane, dans le royaume de Naples ; il ne dit rien de la Suède !

Comment expliquer ce silence ? Je sais bien que, dans l’introduction de son livre, l’auteur mentionne la Suède parmi les états de l’Europe où l’esprit d’intolérance s’est réveillé ; mais quand il trace le tableau de ces tentatives illibérales en Europe, quand il attaque les abus de l’autorité ecclésiastique à Prague, à Florence et à Naples, quand il discute si vivement le sermon de l’archevêque de Mayence pour la fête de saint Boniface, quand il réfute avec tant de soin un discours prononcé par l’évêque de Strasbourg dans la cathédrale de Spire, comment se fait-il que des événemens partiels, des symptômes isolés, un discours, un sermon, lui fassent oublier un signe du temps bien autrement grave, je veux dire l’intolérance altière et opiniâtre du protestantisme suédois ?

Ce reproche, car il y a un reproche dans l’étonnement que j’éprouve, ne s’adresse pas seulement à l’illustre auteur des Signes du Temps ; tous les publicistes allemands l’ont encouru comme lui. Ils semblent avoir oublié les devoirs que l’Allemagne avait à remplir, comme foyer de culture intellectuelle, dans l’Europe du Nord. On a remarqué avec raison que depuis un demi-siècle l’esprit allemand n’avait pas été sans exercer une action profonde sur l’Angleterre et sur l’Amérique anglo-saxonne. Pourquoi donc le même esprit, qui a si bien fait son chemin à Londres et à New-York, n’a-t-il