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qu’au storthing norvégien, et en attendant que cette proposition eût force de loi, un gouvernement intérimaire s’était organisé. Ces circonstances si graves, si nouvelles, avaient ému les esprits, car la formation du gouvernement intérimaire était mal réglée par la constitution, et les mesures prises à ce sujet par le ministère furent soumises dans les chambres à des critiques très vives. Enfin le 25 septembre, à la suite d’une déclaration du roi, le gouvernement intérimaire, composé des ministres et de plusieurs conseillers d’état, résigna ses fonctions, et le prince Charles fut proclamé régent du royaume, « jusqu’à ce que le roi, avec la puissante assistance du Très-Haut, fût en état de reprendre les rênes du gouvernement. » Les émotions produites par ce changement de personnes n’étaient pas encore apaisées le jour où les débats s’ouvrirent ; la retraite du souverain qui avait pris l’initiative de cette loi de tolérance, la proclamation d’un régent qu’on disait favorable aux prétentions de l’église officielle, devaient enhardir les fanatiques et décourager les libéraux. M. Cederschjoeld, je le dis à son honneur, ne craignit pas de faire apparaître dans le débat la personne respectée du roi Oscar. « Peut-être, dit-il, est-ce la dernière proposition que nous adresse ce bien-aimé monarque ; accueillons-la favorablement. » Puis, commentant la pensée du roi, « comment, s’écrie-t-il, pouvez-vous invoquer la nécessité de la tradition ? Comment osez-vous dire qu’il faut une autorité pour régler la foi et l’enseignement de la foi ? C’est là le langage du pape ; êtes-vous ses missionnaires ? Vous n’avez pas le droit de décider, comme législateurs, laquelle des communions chrétiennes est hérétique ou orthodoxe. Si vous croyez que l’église de Suède peut poursuivre ceux qui ne croient pas ce qu’elle enseigne, pourquoi vous déchaînez-vous contre les Juifs ? Ils ont fait ce que vous voulez faire ; en condamnant le Christ, ils ont défendu leur église. Prenez garde, vous aussi, de crucifier encore le Christ chaque fois que vous persécuterez un dissident. » Voilà de belles paroles, voilà un cri vraiment chrétien ; espérons que la Suède n’oubliera pas ce discours de M. Cederschjoeld. Le jour où elle aura bien compris cette vigoureuse remontrance, elle accomplira chez elle la séparation de l’église et de l’état, elle reconnaîtra la pleine liberté des consciences, et prendra décidément sa place parmi les nations civilisées de l’Europe.

Tel est le résumé de la séance, du 19 octobre. L’argumentation des ennemis de la liberté religieuse ne brille guère par la variété. La séance du 20 octobre ne fit que reproduire en grande partie les déclamations de la veille. Le pasteur Saove, le doyen Melander, surtout l’évêque de Gothenbourg, M. Bjoerck, et le comte Erik Sparre, affirmèrent sur tous les tons que c’en était fait de l’église officielle de Suède, si la loi ne la défendait par les plus énergiques moyens dont elle dispose. « C’est par la persécution, s’écriaient-ils à l’envi dans un crescendo tumultueux, c’est par la persécution que l’église suédoise s’est fondée sous Gustave Wasa et Charles XI ; c’est par la persécution qu’elle sera maintenue. » N’est-ce pas là une étrange apologie ?