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de troupes parcourent la ville et constituent prisonniers tous les individus dont l’arrestation a été résolue. Au point du jour, le pavillon blanc est arboré sur nos bâtimens, qui le saluent de toute leur artillerie. Cette démonstration ridicule était sans objet. La seule conséquence qu’elle pût avoir, c’était de nous fermer les portes de la France, à moins que l’étranger ne se chargeât de nous les rouvrir. À dater de ce jour, c’en était fait de l’expédition ; on put la considérer comme dissoute. La plupart des officiers, qui n’appartenaient pas à la noblesse, ainsi que les naturalistes, cause première de nos dissensions, furent dirigés par terre sur la ville de Batavia pour y être détenus dans les forteresses. Quelques officiers mariniers et une quarantaine de matelots de chaque corvette furent envoyés en exil dans l’intérieur de Java. On les y plaça sous la surveillance des chefs indigènes, qui heureusement les traitèrent avec les plus grands égards.

J’avais été porté par M. de Mauvoisis sur la liste des proscrits. Le jeune ingénieur hydrographe avec lequel je m’étais lié y figurait également, sans avoir plus que moi mérité cette distinction. J’ignore en vérité quel motif avait pu nous valoir l’honneur d’être rangés parmi les rebelles. Nous étions tous les deux très inoffensifs, surtout fort peu enthousiastes d’une révolution que nous ne connaissions encore que par ses excès. Je dois dire cependant que mon compagnon était le dépositaire des papiers de l’aumônier de la Durance, mort depuis notre arrivée à Sourabaya. Ces papiers renfermaient la correspondance de M. de Terrasson, et à toutes les instances qui lui avaient été faites pour avoir communication de ce dépôt le jeune ingénieur avait répondu par le refus le plus formel. Mais moi, qui venais à peine d’accomplir ma vingtième année, qui n’avais d’ardeur que pour mon métier et pour le plaisir, qui n’avais jamais pris parti ni pour les Capulets ni pour les Montaigus, qui, en ce moment même, étais à peine convalescent d’un bon coup d’épée que je devais à l’un de ces savans si particulièrement odieux à M. de Mauvoisis, je me demande encore à quel propos on me fit arrêter. Sans doute on jugea que, n’ayant rien à gagner à la cause de l’émigration et tout à espérer du triomphe des idées nouvelles, mon choix devait être fait à l’avance. Ce raisonnement, si toutefois ce fut celui de M. de Mauvoisis, aurait dû dessiller ses yeux. Que pouvait-il espérer du conflit dans lequel la noblesse était engagée, lorsqu’il lui fallait tenir pour ennemis tous les Français qui n’étaient pas gentilshommes ? Détenus dans nos appartemens et gardés à vue par deux factionnaires, nous attendions, mon compagnon et moi, le parti qu’on allait prendre à notre égard. Notre premier mouvement avait été de nous révolter contre ce traitement indigne ; bientôt la gaieté