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pour le frêle esquif, lui donnaient froid et lui faisaient peur. Diogo l’enveloppa de son gros caban.

— Tiens, lui dit-il en souriant, te voilà comme la madone de notre église, toute cachée dans un manteau brun ; il te manque la couronne… Prends toujours cela pour te garantir la tête. — Parlant ainsi, il lui roulait en forme de turban le châle de crêpe de Chine qui lui avait été donné la veille. Manoela, tout effrayée qu’elle fût du bruit des flots, se pencha sur la mer pour y voir sa coiffure, et tendant la main au pêcheur :

— Que tu es bon ! lui dit-elle.

— Tu m’avais pourtant quitté, reprit Diogo en hochant la tête ; tu avais fui notre pauvre île, comme un oiseau qui sort de sa cage…

— Cette petite fée du Pérou avait ensorcelé ma mère, dit doucement Manoela.

— Qui sait si la vieille Josefa ne va pas me faire la moue de ce que je te ramène auprès d’elle ?

— Oh ! non, dit Manoela ; je réponds que non.

— Après tout, si elle ne veut pas de toi… Change l’écoute, Manoela ; n’allons pas tomber sous le vent de l’île… Très bien. Oh ! quelle fameuse femme de pêcheur que la Manoelita !

— Je te dis qu’elle m’accueillera bien, reprit la jeune fille, et toi aussi, Diogo… La petite fée m’a rendu les pièces d’or. Tiens, les vois-tu ?

Ils voguaient, en causant ainsi, bercés par les vagues et poussés par une forte brise qui les ramenait au rivage. La Branca dormait à leurs pieds aussi tranquillement que si elle eût été couchée sous le gros cep de vigne, devant la cabane de Josefa. Manoela n’avait plus peur ; la terre se montrait plus près d’elle, et elle était assurée d’être bien reçue par sa mère. Qu’il y avait d’espérance et de joie dans cette barque qui berçait les deux jeunes gens ! Ces vingt-quatre heures, marquées par tant d’incidens imprévus, de tristesses et de larmes, avaient avancé leurs affaires plus que ne l’auraient fait des années de leur monotone existence. Un seul jour avait suffi pour mûrir cette affection mutuelle qui ne demandait qu’à se développer, et qui semblait languir dans ce petit pays voué à la pauvreté et à l’isolement.

Sur les rochers qui bordent le petit port de Santa-Cruz, il y avait un certain nombre d’oisifs occupés à suivre des yeux la barque arrivant de la haute mer. On se perdait en conjectures sur cette voile hardie qui marchait droit au rivage. À mesure qu’elle s’approchait, les curieux reculaient prudemment : c’était à qui n’entrerait pas le premier en relations avec les étrangers aux allures suspectes. Manoela n’avait point songé à dérouler le châle qui entourait son front,