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arme inutile, il dégaina héroïquement sa claymore, et, glaive en main, se précipita avec un redoublement de furie sur les traces du fugitif.

— Laverdure, va donner un coup de main à M. Cassius, qui n’atteindra jamais son lièvre, tout blessé qu’il est, dit impérativement le comte.

Immédiatement le garde, partant en ligne droite pour couper la retraite au fugitif, réussit à le joindre à belle portée et à l’arrêter d’un coup de fusil. Sans vouloir toutefois tirer ni amour-propre ni profit de son adresse, Laverdure attendait que M. Cassius vînt prendre possession du gibier, lorsqu’une flamme brilla derrière le tas de fagots où était caché Marmande; l’on entendit la détonation d’un coup de fusil, et immédiatement l’infatigable bonhomme hâta le pas pour reprendre sa place près de son maître. Au moment où il tournait le tas de fagots, son arme lui échappa des mains, ses jambes se dérobèrent sous lui, et ce fut d’une voix éteinte qu’il poussa le cri d’alarme : — Au secours! au secours!

Le comte de Marmande était étendu sans vie sur la terre, son fusil encore fumant gisait à ses pieds. Un large trou béant à son habit indiquait que le coup avait porté dans la région du cœur. La mort avait dû être instantanée, sans douleur et sans agonie, car la figure du comte était calme, presque souriante. Il était à supposer que, dans un brusque mouvement, une branche de fagot avait pesé sur la gâchette et fait partir le coup mortel.

Le testament de Marmande, quoique d’une écriture toute fraîche, était daté du lendemain de son mariage. Par ses dernières volontés, il laissait à sa femme une partie fort considérable de ses biens, et terminait en exprimant le désir qu’elle se remariât suivant son cœur.

Sur la table devant laquelle le dernier maître du Soupizot avait passé la nuit précédente se trouvait, auprès d’un livre de prières, un volume illustré d’un roman alors à l’apogée de son succès. Le volume était ouvert à la gravure représentant le suicide du marquis d’Harville. Au bas de la page, imbibée çà et là de tacites jaunâtres comme en laissent les larmes, une main tremblante avait tracé au crayon les mots : « Qu’ils soient heureux! »


MAJOR FRIDOLIN.