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n’a point fidèlement représenté le Cyrus de l’histoire ; mais de grâce prenez garde qu’elle n’y a jamais songé. Au lieu du Cyrus de la Bible, d’Hérodote et de Xénophon, qu’elle ne connaissait guère, elle a peint le Cyrus qu’elle avait sous les yeux, le héros qui éblouissait son siècle de l’éclat de ses victoires, qui commença par sauver la France, et plus tard en agrandit les frontières, qui gagna à vingt-deux ans une bataille mémorable, et n’a jamais été battu une seule fois dans sa vie, en ayant toujours affaire aux plus grands capitaines, le conquérant dont Bossuet a fait l’oraison funèbre, et qu’il n’a pas craint, lui aussi, de comparer au Cyrus prédit par les prophètes : ce Cyrus-là est le prince de Condé en sa brillante jeunesse, lorsqu’on le nommait le duc d’Enghien, et dans les premières années où il succéda au titre de son père et s’appelait M. le Prince. Mlle de Scudéry l’a peint tel qu’il était à la fleur de son âge et pour ainsi dire de sa gloire, fort, galant, ne vous en déplaise, comme le sont quelquefois les jeunes héros, ainsi que Racine aurait pu vous le dire, car nous n’osons vous citer Corneille, et tout en pensant à sa belle maîtresse, prenant des villes, gagnant des batailles, et faisant des choses mille fois plus grandes que ce passage du Rhin que vous avez si dignement chanté. Quoi ! vous n’avez pas reconnu votre héros dans celui de Mlle de Scudéry ! vous ne voyez dans Cyrus qu’un Céladon et un Silvandre ! mais n’apercevez-vous pas tous ces sièges, tous ces combats ? Voici Dunkerque, voilà Rocroy, voilà Lens, voilà Charenton et le siège de Paris. Est-ce le portrait d’un Céladon, je vous prie, que celui-ci : « Cyrus[1] avoit ce jour-là dans les yeux je ne sais quelle noble fierté qui sembloit être d’un heureux présage, et il eût été difficile de s’imaginer en le voyant qu’il eût pu être vaincu, tant sa physionomie étoit gande et heureuse ? Ce prince étoit d’une taille très bien faite ; il avoit la tête très belle, et ses cheveux du plus beau brun du monde faisoient mille boucles agréablement négligées qui lui pendoient jusque sur les épaules. Son teint étoit vif ; ses yeux noirs, pleins d’esprit, de douceur et de majesté ; il avoit le nez un peu aquilin, le tour du visage admirable, l’action si noble et la mine si haute que l’on peut dire assurément qu’il n’y eut jamais d’homme mieux fait que Cyrus. » Et ailleurs[2] : « Cyrus étoit si différent de lui-même dès qu’il s’agissoit de combattre ou seulement de donner des ordres militaires, qu’il n’arrivoit pas un plus grand changement au visage de la Pythie lorsqu’elle rendoit des oracles, que celui que l’on voyoit en Cyrus dès qu’il avoit les armes à la main. On eût dit qu’un nouvel espritl’animoit et qu’il devenoit lui-même le dieu de la guerre : son teint en devenoit plus vif, ses yeux

  1. Le Grand Cyrus, t. III, liv. II, p. 598.
  2. Ibid., t. V, liv. II, p. 478.