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ceux qui approchaient de Mme de Longueville[1]. « Quelque douceur qu’eût Mandane, elle conservait quelque chose de si majestueux, de si modeste et de si grand sur le visage, que mon maître (c’est un serviteur de Cyrus qui parle) m’a dit souvent que, lorsqu’il étoit auprès d’elle, il n’osoit quasi songer à sa passion, bien loin de l’en entretenir, et que, s’il eût pu s’en séparer, il l’eût presque souhaité, tant il est vrai qu’elle se faisoit autant craindre comme elle se faisoit aimer. »

Ajoutez que Mandane, malgré sa piété, sa modestie et sa douceur, n’en sème pas moins autour d’elle, comme Mme de Longueville, les plus effroyables querelles. Partout où le sort la jette, sa beauté et sa bonne grâce lui suscitent des adorateurs qui se la disputent le fer à la main. Si Guise et Coligny se sont battus pour Mme de Longueville, combien de duels terribles Cyrus ne soutient-il pas pour Mandane ! Mme de Longueville avait troublé bien des cœurs depuis le beau et vaillant Phœbus, comte de Miossens, le futur maréchal d’Albret, jusqu’au bon et grand Turenne, sans parler de bien d’autres en des rangs divers ; de même Mandane égare la raison de rois, de princes, de guerriers, qui, pour la conquérir, jouent leur couronne et leur honneur, et s’engagent dans les plus tragiques aventures.

Enfin, ce qui rapproche Mandane de Mme de Longueville d’une façon bien plus particulière et bien autrement touchante, Mandane charme les femmes aussi bien que les hommes, les petits comme les grands, les étrangers comme les compatriotes, dans le malheur et dans les fers comme dans l’éclat des cours et sur les marches d’un trône.

Il n’y a pas même jusqu’au langage de la sœur de Condé, ce langage d’une distinction si haute et en même temps d’une si exquise politesse et d’une adorable négligence, que Mlle de Scudéry n’ait tâché d’imiter autant qu’il était en elle, autant qu’une femme de sa condition, quel que fût son esprit, pouvait prendre le ton de la cour et celui d’une princesse du sang de France. Il y a cependant çà et là dans le Cyrus des monologues, des lettres, des conversations de Mandane où nous retrouvons quelque ombre du style de Mme de Longueville ; Voilà bien ses longues phrases un peu embarrassées, la grandeur et aussi la subtilité de ses sentimens, sa délicatesse raffinée, son agrément infini, excepté ses incorrections de grande dame, excepté surtout cet accent énergique et fier dans les occasions que tout le talent du monde ne peut feindre, et qu’il faut tirer de son propre cœur.

Ce n’est pas tout : Condé et Mme de Longueville, avec leurs amis

  1. Le Grand Cyrus, p. 598.