Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/967

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre, plus puissans que la loi elle-même, trouvant tout à la fois leur force et leur correctif dans les mœurs.

Un des traits de ce caractère anglais tel qu’il s’est formé et tel qu’il apparaît dans une longue histoire, c’est que, malgré des luttes intérieures qu’on dit énervantes, il se montre sans cesse à la hauteur de toutes les entreprises. On l’a remarqué quelquefois, l’Angleterre peut se laisser surprendre par une sorte d’orgueilleuse confiance en elle-même ; elle éprouve souvent des revers, dans une première campagne, elle se relève dans la seconde, et sa constance ne se laisse pas vaincre aisément. Elle poursuit son but avec ténacité. Telle elle se montre encore dans deux questions, — l’insurrection des Indes et la guerre de la Chine, — qui se débattent aujourd’hui dans l’extrême Orient, et qui ne sont pas les moins graves entre toutes celles dont l’Europe peut justement se préoccuper. La guerre des Indes, où l’Angleterre agit seule, ayant seule à se défendre, est un de ces événemens destinés à déjouer sans doute plus d’une fois encore toutes les prévisions et tous les calculs. Le résultat définitif, nul ne peut le mettre en doute ; mais comment arrivera-t-on à ce dénoûment victorieux ? Il y aura certainement de rudes combats à livrer avant d’éteindre complètement ce vaste foyer d’insurrection. Pour le moment, le général en chef, sir Colin Campbell, a repris l’offensive contre les insurgés, il a reconquis certaines positions. Les troupes anglaises retrouvent donc chaque jour leur ascendant, et poursuivent l’exécution d’un plan de pacification qui ne peut s’accomplir en un instant.

Aujourd’hui l’attention va se partager entre le Bengale et Londres, car si la question militaire s’agite sur les bords du Gange, c’est à Londres que va se débattre et se résoudre la question politique de l’organisation nouvelle de l’empire indien. Lord Palmerston vient d’aborder hardiment le problème, en proposant aux chambres un bill, depuis longtemps annoncé, qui transférerait de la compagnie des Indes à la couronne le gouvernement des possessions britanniques. Il y aurait un conseil qui se composerait de huit membres, et dont le président appartiendrait au cabinet. C’est là en réalité toute une révolution, et, comme on le peut présumer, la compagnie ne se laissera pas déposséder sans résistance ; déjà elle s’est adressée au parlement. Quoi qu’il en soit, la discussion est ouverte, et les chambres anglaises vont se livrer à une solennelle enquête sur l’état de l’Inde. Quant à la guerre qui a déjà commencé en Chine, et où les forces de l’Angleterre agissent d’accord avec celles de la France, elle a obtenu un premier résultat par l’attaque heureuse de Canton. C’est le 28 décembre que les forces alliées ont été débarquées, et l’attaque a eu lieu immédiatement. Anglais et Français ont marché ensemble contre les murs de la ville chinoise, qui ont été facilement emportés. Quelques-uns des forts ont été pris, d’autres ont été abandonnés par les Chinois, et les forces alliées dominent complètement Canton. Tel est le premier épisode de cette guerre, qui n’a d’autre but que de soumettre la Chine à l’ascendant de la civilisation occidentale.

Parmi toutes les affaires qui se croisent et s’entremêlent à la surface de l’Europe, il est des questions avec lesquelles il semble vraiment que les cabinets doivent s’accoutumer à vivre, tant elles sont persistantes. Ces questions, sérieuses par elles-mêmes sans nul doute, plus graves encore peut-