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VII.

J’ai dit que trois soirées avaient été particulièrement funestes à Cosme. Laissons-lui la parole encore une fois. Il nous fera connaître en quelques mots le dernier acte de cette pénible trilogie :

« J’ai commis cette nuit la plus impardonnable et la plus inexplicable des sottises. Je viens de conduire Amicie à un grand bal chez la maréchale de P... Jamais je ne l’avais trouvée plus charmante. Elle avait une toilette bleue qui lui allait merveilleusement : c’était une fleur animée, un rêve visible et vivant. Elle semblait m’aimer, et je l’adorais. Je la suivais des yeux avec fierté. Elle dansait nonchalamment, et comme si elle se fût fait violence. Je ne danse pas, et j’ai toujours eu un grand éloignement pour la danse, à qui maintenant je ne pourrais plus rendre que de tardifs hommages. Il y avait dans sa manière d’être une tendre flatterie dont j’appréciais toute la valeur, dont je savourais tout le charme. Eh bien! voilà tout à coup que je rencontre Juliette de Courgey, qui depuis quelques mois a épousé un vieil Anglais, lord Clingham. Juliette, je ne sais trop pourquoi, avait refusé de valser. Elle me fait signe de m’asseoir auprès d’elle, et me demande comment je la trouve, si le mariage l’a changée, si je suis heureux, si ma femme m’aime, si ma vie est close désormais, enfin toute sorte de choses intimes provoquant des réponses périlleuses. Chacune de ses questions est accompagnée d’un regard où se montre la plus franche et la plus audacieuse coquetterie. Dieu m’est témoin que j’ai en horreur toute espèce d’aventures galantes, qu’excepté sous la forme où je pourrais encore le rencontrer près d’Amicie, l’amour m’est devenu odieux. Léger, il me répugne, il m’ennuie comme un dandy; romanesque et passionné, il m’effraie comme un bourreau. Telle est néanmoins la force de l’habitude que je cours au-devant du piège où je serais si penaud de tomber. Je ressemble à ces vieux chevaux de bataille qui dressent sur-le-champ l’oreille au moindre sifflement des balles. Je lui réponds, et je sens dans mes yeux toute cette série de sottes expressions attentives, animées, désireuses, qui me feraient prendre mon visage en horreur, si je le voyais dans une glace. Tandis que je me livre à ce fatal marivaudage, j’aperçois Amicie qui me regarde en valsant, et je comprends tout ce que son regard veut dire. Depuis quelque temps, elle apprend la science de la vie, et, comme tous les écoliers à leur début, elle s’exagère infiniment la portée de ce qu’elle connaît déjà. La voici convaincue qu’elle découvre un grand secret, c’est-à-dire que je suis voué pour toujours aux affections rapides et changeantes. « Je me suis unie à l’inconstance, » voilà ce qu’elle se dit. L’incon-