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Nous pourrions raconter encore beaucoup d’autres fictions non moins ingénieuses. Dans plusieurs de ces récits, on entrevoit un caractère narquois et une ironie railleuse qui sembleraient appartenir à une civilisation plus avancée. Ainsi un guerrier qui s’était dévoué pour sa tribu revient sur la terre, afin de reconnaître s’il n’avait pas été trop bon de se sacrifier pour des compagnons d’armes fort prompts à l’oublier. Un mari, qui en mourant a laissé sa femme dans un affreux désespoir, obtient également de visiter son habitation à plusieurs reprises, pour observer les modifications assez rapides qui s’opèrent dans les regrets de sa veuve. Ces demi-jours délicatement répandus sur les faiblesses humaines, cette finesse de critique, achèvent de nous révéler chez les Indiens un esprit délié, une intelligence pénétrante, une facilité d’expression singulière, en un mot un ensemble de facultés intellectuelles que nous allons retrouver dans leur pictographie.


III. — MONUMENS SYMBOLIQUES DES INDIENS, LEURS CONFRERIES SECRETES. — ANTIQUITES DE L’OHIO ET DU WISCONSIN. — DE L’AVENIR DES TRIBUS INDIENNES.

Dans les contrées de l’Amérique peuplées par les Indiens, on rencontre à chaque pas des images d’animaux, des simulacres d’objets matériels, et d’autres signes fort variés. Les uns sont sculptés sur des rochers ou imprimés dans l’écorce des arbres ; d’autres sont peints sur des surfaces lisses et unies. On ne manque jamais d’en trouver sur les pierres tumulaires, sur les poteaux auxquels sont suspendus les cercueils, sur les bornes qui séparent les territoires, et généralement dans tous les lieux auxquels se rattachent quelques souvenirs.

Sur les bords du Lac-Supérieur, on remarque plusieurs poteaux plantés dans le sol, équarris avec soin et portant sur les quatre faces des emblèmes imprimés. Je me bornerai à décrire une de ces images. On voit d’un côté une tortue, ce qui indique la tribu qui a fourni le sujet du trophée, de l’autre côté un soleil, ce qui est le totem et comme le nom du guerrier en l’honneur duquel est élevé ce monument. Entre les deux signes est une figure qui représente un homme. L’absence de toute coiffure indique que ce personnage appartient à la race rouge, et deux traits surmontant le tout en forme d’aigrette annoncent qu’il exerçait le commandement militaire dans sa tribu. Les symboles qui accompagnent cette figure désignent aussi des corps humains, mais leur position inférieure et leur configuration incomplète montrent des hommes pris ou tués par le héros placé au-dessus d’eux. Ils n’ont ni tête ni bras, ce qui signifie qu’ils sont tombés aux mains d’un ennemi.

En 1820, une commission fut chargée par le gouvernement de l’Union d’explorer les rivages des grands lacs et les sources du Mississipi. Quittant la rivière de Saint-Louis, les commissaires eurent à traverser un terrain sablonneux, encombré d’épaisses broussailles. Le temps était si sombre et si pluvieux, qu’ils passèrent trois jours entiers sans apercevoir un rayon de soleil. La caravane se composait de seize personnes, en y comprenant deux Indiens qui servaient de guides. Ces deux hommes rouges avaient une merveilleuse sagacité pour se reconnaître au milieu de ces massifs épineux.