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dame de Constantinople l’avait chargé de lui amener une jeune et belle fille dont elle voulait faire présent à son fils, arrivé à l’âge de la puberté. Qu’on ne s’étonne pas du choix de ce présent destiné par une mère à son fils, et qu’on n’oublie pas que nous sommes en Turquie. Le marchand agréa Zobeïdeh et la paya fort cher, car il était certain de la vendre plus cher encore. Les soins qu’il eut d’elle pendant le voyage, les précautions qu’il prit pour la garantir du froid et du soleil, la surveillance qu’il exerça sur elle pour l’empêcher de communiquer avec des étrangers, n’auraient pu être égalés par la sollicitude du père le plus tendre. Il tremblait qu’elle ne tombât malade ; il l’eût volontiers portée sur ses épaules, s’il eût pensé diminuer ainsi pour elle la fatigue du voyage : c’était son trésor qu’il gardait ainsi, et ce fut un beau jour pour le marchand que celui où en échange d’une belle somme payée, comptant, il la déposa entre les mains de la noble dame de Constantinople.

Cette dame était la mère d’un jeune homme nommé Osman-Bey. Zobeïdeh lui était destinée, mais son éducation ne suffisait pas à la rendre digne de lui. Ce fut du moins ainsi qu’en jugea Ansha-Khanum (c’était le nom de la mère d’Osman), et ce fut la première blessure portée à l’orgueil de Zobeïdeh. Sous sa hutte circassienne, on lui avait si souvent répété que le padishah s’estimerait heureux de la posséder ! Quoi qu’il en soit, pendant une année entière, Zobeïdeh fut traitée par sa maîtresse et par toute la maison comme une enfant mal élevée à laquelle il faut tout apprendre, et ce temps s’écoula pour elle à réprimer des accès de rage orgueilleuse qui lui paraissaient parfaitement justes et légitimes. Au bout de ce temps et après une dernière semaine passée soit dans le bain, soit à essayer des vêtemens nouveaux à s’épiler, à se pommader et à se farder Zobeïdeh fut invitée à paraître chez Ansha-Khanum, auprès de laquelle se trouvait en ce moment le jeune bey.

Zobeïdeh entra dans l’appartement enveloppée d’un grand voile que sa maîtresse souleva en disant à son fils : — Voici l’esclave que j’ai élevée pour vous, et dont je vous fais présent. J’espère que vous en serez content.

Osman regarda à peine Zobeïdeh, mais il se confondit en remerciemens, et se déclara d’avance assuré qu’une personne choisie et instruite par sa mère ne pouvait que lui plaire.

Osman était beau, et il avait cette expression de hauteur et d’indifférence faite plus que tout autre pour allumer dans un cœur rempli de vanité et d’orgueil un furieux besoin de plaire. — Comment donc, faut-il être pour le toucher, pour fondre cette glace insolente ? se demandait Zobeïdeh, et cette question qu’elle s’adressait nuit et jour lui causait une impatience qui ressemblait parfois au désespoir. Elle ne parvenait pas toujours à cacher ses agitations à