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Zobeïdeh en véritable ennemie. Zobeïdeh ne demandait pas mieux que d’engager une bataille sérieuse, mais ce n’était pas avec les armes qu’employait Ombrelle. Ombrelle s’était oubliée jusqu’à proférer des menaces assez peu voilées contre l’auteur de la mort d’Ada : Zobeïdeh feignit de ne pas comprendre l’allusion, pourtant si claire ; mais, à partir de ce jour, elle commanda à son dépit, et se tint sentinelle vigilante auprès de sa rivale, épiant l’occasion favorable de lui porter un coup dont elle ne pût se relever. Le caractère d’Ombrelle lui donnait lieu d’espérer qu’elle se perdrait d’elle-même. Osman-Bey n’était pas aimé de sa nouvelle favorite ; bien plus, il ne lui plaisait même pas, et Zobeïdeh était trop clairvoyante en ces matières pour ne pas s’en apercevoir. Ombrelle possédait plus que la moyenne ordinaire de vanité départie aux femmes de son âge et de sa condition ; elle était hardie, entreprenante, aimant les aventures, et avait une confiance illimitée dans l’effet de ses charmes sur le monde entier, en particulier sur Osman. Avec de pareilles armes, une jolie figure, une certaine liberté, elle ne tarda pas à subjuguer complètement le bey. Dès lors le harem devint le théâtre de conflits journaliers et d’intrigues ténébreuses. Le corps des esclaves reconnaissait trois chefs. La bannière d’Ombrelle était l’étourderie et l’impertinence, celle de Zobeïdeh le ressentiment et la vengeance. Maléka représentait seule la conciliation et l’abnégation. Chacune des esclaves se rangea sous celle de ces bannières qui flattait le mieux ses passions et qui convenait à son caractère. Les amies d’Ada et celles que l’humeur impérieuse de Zobeïdeh avait blessées se ralliaient autour d’Ombrelle ; celles qui appréciaient la générosité de Zobeïdeh plus qu’elles ne ressentaient la hauteur et la brusquerie dont ses bienfaits étaient souvent accompagnés protestaient de leur fidélité envers leur ancienne, leur véritable maîtresse. Enfin celles qui préféraient la paix à la guerre et qui se réservaient le droit de critiquer tout le monde formaient un petit groupe (le moins nombreux des trois) autour de Maléka, dont elles vantaient les vertus pour avoir surtout occasion de remarquer combien l’absence de ces mêmes vertus se faisait sentir chez les deux rivales, et rendait la paix impossible. Chacune des deux factions militantes témoignait d’un égal, mépris pour les neutres, qui de leur côté se drapaient dans une pitié dédaigneuse pour la folie de la troupe belligérante.

Ombrelle croyait s’être rendue redoutable aux yeux de Zobeïdeh. — Elle sait bien, se disait-elle, que l’histoire d’Ada et de sa mort étrange m’est connue, et elle tremble devant moi. Ce qu’elle ignore (et c’est fort heureux), c’est que je n’ai jamais pu amener le bey à m’écouter sur ce sujet. Que les hommes sont lâches ! Sont-ils tous comme celui-ci ? Il connaît l’affaire aussi bien que moi ; mais parce