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des philosophies cosmopolites, du mouvement papiste, et aussi en haine des prédications semi-catholiques du parti de la haute église. Tantôt, comme dans Westward Ho ! il retrace les temps héroïques de cette église nationale, les temps où elle inspirait tous les actes de la vie publique et privée[1] ; tantôt, comme dans son dernier livre, Two Years A go, il s’efforce de persuader à ses concitoyens de revenir à cette église, qui seule pourra réunir, ainsi qu’autrefois, leur vie pratique et leur vie spéculative, maintenant séparées.

Son dernier roman est donc fondé sur la nécessité d’un accord entre la vie pratique et la vie spéculative. La religion seule peut opérer cette union, en substituant le mobile du devoir aux mobiles de l’intérêt matériel et de la curiosité morale. Les pensées les plus élevées ne sont qu’un souffle tant qu’elles ne se sont pas traduites en actes, et il n’y a pour les actes qu’une expression qui soit digne de l’homme, le devoir et le dévouement. La vie intellectuelle qui n’a pas pour but la charité et l’amour est un abus criminel de l’âme, comme l’ivrognerie et la débauche sont un abus criminel du corps. Une multitude de péchés et de crimes contre l’humanité naîtront de ce mépris du dévouement : l’obstination du sectaire, le fanatisme, la stérilité littéraire, le vain dilettantisme. D’autre part, la vie pratique la plus énergique, si elle n’est pas dirigée par un mobile religieux, restera sans but véritable, et conduira facilement au scepticisme, au cynisme, au mépris des hommes. Cependant, quoique M. Kingsley condamne également l’absence d’un principe religieux dans la vie morale et dans la vie pratique, il s’en faut de beaucoup qu’il soit aussi indulgent pour les hommes intellectuels que pour les hommes pratiques. L’homme sans religion qui mène une vie pratique ne court pas, selon lui, les mêmes dangers que l’homme irréligieux qui mène une vie purement intellectuelle. L’homme pratique a en lui plus de ressources pour échapper au mal et au péché ; s’il tombe, il sait se relever et reprendre sa marche ; et glissât-il dans les pires erreurs, il est rare, en le supposant doué d’une certaine honnêteté native, qu’il roule au fond de l’abîme. Il n’en est pas ainsi de l’homme qui mène une vie intellectuelle : si toutes ses pensées ne sont pas réglées par le devoir, la charité et le désir du bien, elles le seront par l’égoïsme, la vanité et le désir du bruit. Une vie intellectuelle sans dévouement est donc le crime irrémédiable, le péché que rien ne peut pardonner. M. Kingsley n’a jamais assez d’anathèmes pour l’intelligence égoïste qui use et abuse de ses dons pour une satisfaction de vanité, et qui s’énerve et s’épuise dans un voluptueux dilettantisme, comme un débauché dans l’habitude de l’orgie ; dans son

  1. Voyez sur Westward Ho ! la Revue du 1er décembre 1855.