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fatiguait et dégoûtait beaucoup, outre qu’ils avaient souffert des pluies de la saison, tombées plus abondamment que de coutume, déclarèrent qu’ils n’entendaient plus camper, et qu’ils étaient décidés à combattre ou à partir. Ils réclamèrent impérieusement leur solde, exigèrent la bataille, et annoncèrent que, s’ils n’obtenaient l’une ou l’autre, ils retourneraient immédiatement dans leurs cantons. Lautrec n’avait pas de quoi les payer, et il ne voulait pas les mener à un combat qui serait suivi d’une infaillible défaite. Il s’efforça de les retenir sous le drapeau de la France en attendant qu’il reçût une somme de 400,000 écus que le roi avait promis de lui envoyer, et il n’oublia rien pour les éclairer sur le danger de la bataille. Une reconnaissance du camp ennemi fît voir qu’il était inabordable. Rien n’agit cependant sur l’esprit intraitable des Suisses, que l’argent seul aurait pu convaincre. Ils offrirent de se battre sans être payés, afin de montrer qu’ils étaient plus dévoués au service de la France que la France n’était fidèle à ses engagemens envers eux. Il fallut accepter. Ils demandaient à combattre à la Biccoca, comme ils l’avaient demandé à Rebecca. Le souvenir de Rebecca, où l’on aurait pu vaincre, contribua à l’attaque de la Biccoca, où l’on devait être battu.

Tout fut disposé pour marcher, le 27 avril, contre le camp retranché des impériaux. Les masses des bataillons suisses furent chargées de l’escalader en face, tandis que le maréchal de Foix, à la tête des hommes d’armes de France et suivi des fantassins italiens, s’avancerait par la route de Milan, et y entrerait en forçant à gauche le passage du pont. En même temps Lautrec essaierait d’y pénétrer par la droite avec une troupe à laquelle il fit prendre la croix rouge des impériaux, afin de tromper l’ennemi par ce stratagème, et dans l’espérance assez puérile de ne pas rencontrer de résistance. Il fut convenu que les Vénitiens participeraient à cet assaut général. Ces diverses attaques avaient besoin d’être simultanées pour avoir quelque chance d’être heureuses, l’ennemi ne pouvant être forcé sur un point que s’il était pressé sur tous à la fois.

Prospero Colonna, joyeux d’être assailli dans une semblable position, et se regardant comme assuré d’avance de la victoire, plaça ses troupes, aussi confiantes que lui, aux abords de l’enceinte retranchée. Les lansquenets, sous Rodolphe Hall et George Frondsberg, y faisaient face aux Suisses, qui l’avaient emporté jusqu’alors sur eux, mais qu’ils devaient, grâce à l’avantage du terrain, commencer à vaincre dès ce jour-là. Sforza, venu de Milan avec ses Italiens, garda le passage où devait se présenter le maréchal de Foix avec ses hommes d’armes. Afin de déjouer le stratagème de Lautrec, Prospero Colonna avait ordonné aux siens de mettre sur leur casque ou sur leur armure de petites branches d’arbre ou des épis de blé