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quand il discute les récits apocryphes sur les animaux exotiques) se laisse assez bien entrevoir dans ce court passage où il est question du cerf et de sa longévité de Mathusalem : « Puisque nous n’avons pas d’observations authentiques en faveur de cette assertion, puisque la raison et l’expérience générale sont contre elle, puisque enfin les considérations sur lesquelles l’opinion s’appuie sont fausses et fabuleuses, nous ne voyons pas de motifs d’y souscrire. » Il aime à porter la cause en litige devant deux tribunaux : il consulte la raison, c’est-à-dire qu’il juge de la probabilité ou de l’improbabilité d’un fait d’après les lois générales qui résultent de l’ensemble de ses connaissances ; mais il ne permet pas à la raison de décider du possible et de l’impossible, et il la tient seulement pour l’autorité secondaire. Ce qui passe en premier lieu, c’est l’expérience. À ses yeux, elle seule a droit de certifier ce qui est ou n’est pas, et tant qu’elle n’a pas apporté son attestation, il doute. « Par rapport aux choses temporelles, nous dit-il, il n’y a pas de conviction indubitable sans le concours des sens ou de la raison en qui résident les principes de la persuasion… De même que le témoignage des hommes ne suffit pas pour donner la foi et que nous ne saurions avoir l’incontestable intuition des choses célestes sans l’aide de l’esprit de Dieu et de l’inclination inspirée, de même, en ce qui touche aux certitudes ordinaires, il faut que nous ayons une impression réelle de nos sens, ou au moins que notre raison ne fasse pas opposition, pour que nous puissions vraiment donner notre consentement. »

En tout cas, il est bien positif qu’il ne donne pas son adhésion à meilleur marché et que le besoin de s’assurer par soi-même sort chez lui de la bonne source. Ce n’est pas la suite d’une disposition méfiante et méprisante ; c’est la suite d’une honnête crainte de l’erreur, qui le pousse à prendre autant de précautions contre lui-même que contre les autres. Si j’avais à nommer la qualité qu’il porte au degré le plus éminent, je citerais sans hésiter sa logique, sa manière de raisonner sur les faits que lui fournit l’expérience. Ce n’est pas qu’il soit un parfait logicien comme on l’entend trop souvent, un homme qui excelle à déduire toutes les conséquences de ses principes en ne tenant compte que de ses principes, et qui croit qu’une chose est obligée d’exister dans le monde parce que l’opinion qu’elle existe résulte forcément d’une autre opinion qu’il a admise. — Il est tout l’opposé des raisonneurs de cette famille : il excelle à ne jamais conclure d’après les données qu’il a devant l’esprit, avant d’avoir regardé au préalable s’il n’y en a pas d’autres qui empêchent le résultat que les siennes produiraient à elles seules. Après l’enquête de commodo, il passe scrupuleusement à cette enquête de incommodo que recommandait Bacon, à ce second examen qui doit s’ouvrir contre