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de la mer d’Aral. La Russie, depuis un assez grand nombre d’années, avait réussi à enlever à la Perse le commerce du Turkestan et de la Boukharie : elle avait établi sur la rive orientale du fleuve Oural, en face et sous le canon de la forteresse d’Orenbourg, un immense bazar destiné à servir d’entrepôt entre l’Europe et l’Asie, et où arrivent encore annuellement cent mille chameaux. Dans un intérêt politique, la Russie n’a pas craint de porter un coup sensible à la prospérité croissante d’Orenbourg : sacrifiant une partie du produit de ses douanes, elle a permis aux Kirghiz et aux Boukhariens de franchir sa frontière européenne, et d’apporter eux-mêmes leurs marchandises à la foire annuelle de Nijni-Novgorod. Elle trouvait à cette concession l’avantage de mettre les marchands asiatiques en contact direct avec la civilisation européenne, de leur donner une idée plus grande et plus précise de l’étendue, de la force et de la richesse de son empire, et d’accroître ainsi le prestige de sa puissance en Orient. Il se trouva que ce changement n’était pas moins profitable aux intérêts de son commerce. La vue des innombrables produits de l’industrie européenne rassemblés à Nijni-Novgorod éveilla chez les Asiatiques des idées nouvelles, leur créa des besoins qu’ils ne soupçonnaient pas, et étendit le cercle de leurs acquisitions. Aujourd’hui ce commerce représente pour les marchands russes un bénéfice annuel de plusieurs millions. Avec le mouvement des échanges s’accrurent et le nombre des caravanes et la richesse de leurs chargemens. La tentation d’arrêter et de piller les marchands devint irrésistible pour les pirates du désert. Ce fut la nécessité de protéger les caravanes et de rétablir la sécurité des communications qui mit la Russie en lutte avec les peuples du Turkestan, et détermina, il y a quinze ans, la désastreuse expédition de Khiva. Les Russes échouèrent misérablement pour s’être aventurés dans le désert avec des forces insuffisantes et sans aucun point d’appui. L’expérience leur a profité, et comme ils avaient à rétablir l’ascendant de leurs armes en même temps qu’à défendre leurs intérêts commerciaux, ils se sont mis à l’œuvre avec une infatigable activité. Ils possédaient déjà sur la côte septentrionale de la Mer-Caspienne, à l’embouchure même de l’Oural, un établissement militaire important : c’était Gourief. Ils en ont formé un autre sur la côte orientale, à l’embouchure de l’Embah, le plus considérable des cours d’eau qui arrosent le pays situé entre la Mer-Caspienne et la mer d’Aral, et ils ont remonté ce fleuve. À partir de l’endroit où l’Embah cesse d’être navigable jusqu’à l’extrémité nord de la mer d’Aral, ils ont creusé une ligne de puits. Autour de chacun de ces puits a été établie une colonie militaire de Cosaques, bien pourvue d’armes et de munitions, et chargée de mettre en culture les terres environnantes, qui se sont trouvées beaucoup