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l’esclave du pacha. Non vraiment, ce mariage n’était pas convenable. On ne fait épouser son esclave qu’à un subalterne ! Le padishah, le satarazan, le président du tanzimat, le ministre de la guerre où le grand amiral, tous ces grands personnages peuvent se permettre sans doute de donner une de leurs esclaves à un jeune homme de bonne maison et riche ; mais un petit pacha à deux queues tout au plus !… Non, il ne comprenait pas comment, lui, effendi d’un certain âge et fort au courant des règles sociales, il avait pu fermer les yeux sur une pareille inconvenance. — L’effendi oubliait que cette inconvenance lui avait valu un présent assez considérable du pacha protecteur, un autre plus considérable encore de sa grande madame, et, ce qui mérite une observation particulière, un troisième de la main d’Osman lui-même. — Cette fois on ferait mieux les choses. Le nouveau protecteur était un pacha complet ; il possédait en outre quatre filles, et il serait charmé de donner l’une d’elles en mariage à Osman ; il lui donnerait avec la même facilité une véritable place, non pas une place de surnuméraire, comme avait fait le premier, mais une place rétribuée, et qui lui vaudrait des missions intéressantes et lucratives. Si Osman y consentait, il fallait ne pas perdre de temps, entrer sur l’heure en campagne, se venger du petit protecteur, se lancer dans la vie publique et remplacer la défunte. Osman, qui ne savait que faire ni de sa personne, ni de son temps, n’eut garde de refuser, et le secrétaire disgracié fut le jour même enrôlé sous une nouvelle bannière. L’affaire du mariage fut menée grand train. Moins de quinze jours après cette première sortie, le bey ramenait une nouvelle femme dans son harem, si souvent visité par la mort. C’était la fille puînée du grand pacha, la jeune Ibrahima, âgée de treize ans.

La fille du pacha n’était pas belle, mais ses treize ans la paraient d’un certain prestige. Petite, grassouillette, avec de grands yeux de couleur indécise, un petit nez retroussé, un peu trop large du bout, mais pouvant s’amender, un teint naturellement uni, d’assez belles dents, de très jolies mains et de très petits pieds, des masses de cheveux d’une couleur orangée fort singulière, — telle était Ibrahima, le sixième objet de l’amour d’Osman. Telle au moins, à l’exception de la couleur orangée des cheveux, l’avait faite la nature ; mais sa mère, ses sœurs, ses servantes, ses amies, elle-même enfin, avaient si bien brodé sur ce canevas, qu’on n’en discernait plus les traits primitifs sans un examen des plus rigoureux. Ibrahima tenait beaucoup d’ailleurs à paraître imposante par sa taille et par son maintien. Pour y parvenir, elle n’avait rien imaginé de mieux que de s’envelopper dans des couches infinies d’étoffes lourdes et raides, qui, taillées en robes, en pantalons, en écharpes, en voiles de